Une zone euro protectrice, interventionniste, social-démocrate : est-ce une bonne idée ?

Patrick Artus, Chef économiste de Natixis et membre du Comité Exécutif, Professeur-associé d'économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Il paraît évident que le modèle économique de la zone euro évolue dans un sens différent de celui du modèle traditionnel du libéralisme (appelons ce modèle le « consensus ancien de Washington »), sans doute en réponse aux demandes des opinions.

La zone euro devient plus protectrice (contre le dumping social ou environnemental, contre les acquisitions étrangères, contre les multinationales de l’Internet) ; elle souhaite avancer vers la coordination fiscale et sociale de ses pays (harmonisation fiscale, réduction des biais de compétitivité comme les travailleurs détachés) ; elle souhaite un supplément d’interventionnisme des Etats (investissements publics du Plan Juncker, proposition de budget de la zone euro, mise en place de projets communs d’investissement public) ; elle a mis la politique monétaire au service de la croissance.

Certaines évolutions sont clairement favorables ; il faudrait se demander si d’autres ne peuvent pas nuire au dynamisme économique de la zone euro (s’il y a réduction de la concurrence, rôle accru des Etats dans les investissements, peut-être hausse de la pression fiscale).

Un nouveau modèle économique de la zone euro très différent du « consensus de Washington » du passé

Probablement en raison de la progression des partis populistes, anti-européens, en raison de la peur qu’a fait apparaître le Brexit parmi les dirigeants politiques européens, pour répondre aux demandes des opinions, la zone euro est en train de faire évoluer (ou de réfléchir à faire évoluer) son modèle économique dans une direction nouvelle.

Nous appelons cette direction nouvelle « protectrice-interventionniste-social-démocrate » ; elle est certainement très différente, en termes de philosophie économique, de ce qu’on appelait autrefois le « consensus de Washington » : libre-échange, libre circulation des capitaux, réduction du rôle et de la taille de l’Etat, libre fonctionnement des marchés.

Quels sont les composants visibles aujourd’hui de ce futur modèle économique de la zone euro ?

Il y a d’abord le choix de la protection. Elle prend la forme de restrictions aux importations depuis les pays qui pratiquent le « dumping social et environnemental », ce qui concerne essentiellement les pays émergents et la Chine, où les coûts salariaux sont faibles, la protection sociale peu développée, les émissions de Co2 en croissance rapide (graphiques 1, 2 et 3).

Elle prend aussi la forme d’une surveillance des acquisitions d’entreprises européennes par des entreprises ou des fonds étrangers, particulièrement chinois (graphique 4, tableau 1), lorsque ces entreprises européennes sont stratégiques. Il s’agit enfin de limiter la capacité des multinationales de l’Internet (les GAFA) à utiliser l’optimisation fiscale entre les pays de la zone euro (où les taux d’imposition des profits sont très différents, tableau 2), en passant d’un système de taxation des profits déclarés dans chaque pays à un système basé sur le chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays. 

 

La seconde composante de ce nouveau modèle économique de la zone euro est la perspective de progrès vers la coordination fiscale et sociale des pays. Dans un premier temps, il s’agit d’harmoniser les bases de l’impôt sur les profits des sociétés et de réduire le recours aux travailleurs détachés ; plus tard, il s’agira de rapprocher les différents taux d’imposition (graphique 5), les règles du marché du travail (tableau 3)

Enfin, ce nouveau modèle économique de la zone euro comprend un supplément d’interventionnisme des Etats. Le Plan Juncker a déjà fortement accru les investissements publics (encadré 1) et les participations publiques dans les petites entreprises innovantes. Le projet de création d’un budget de la zone euro impliquera probablement des investissements publics réalisés en commun dans de nouveaux domaines (équipements militaires, énergies renouvelables, éducation et formation…). 

On peut aussi penser que ce nouveau modèle économique de la zone euro inclut le passage à une politique monétaire dont un objectif central devient le soutien de la croissance et de l’emploi (graphique 6)

 Synthèse : un risque de perte de dynamisme ?

Quel jugement alors porter sur ce nouveau modèle économique de la zone euro ?

Certaines évolutions sont clairement favorables. Personne ne peut s’opposer à la coordination des politiques fiscales et sociales, en raison des risques liés à l’équilibre non coopératif (baisse sans fin de la taxation des facteurs mobiles de production-capital, travail qualifié-, de la générosité de la protection sociale) ; personne ne peut normalement s’opposer à ce que l’Europe surveille la prise de contrôle d’entreprises stratégiques par les non-résidents.

Mais il faut cependant se demander si certaines des évolutions du modèle économique de la zone euro ne peuvent pas nuire à son dynamisme économique. La protection (commerciale ou concernant les acquisitions) peut facilement se transformer en recul de la concurrence, en protection des rentes.

La hausse des investissements publics peut, si on n’y prend pas garde, générer des investissements inefficaces, et la hausse de la pression fiscale, déjà très élevée dans la zone euro (graphique 7). Comment éviter que la création d’un budget de la zone euro et la mise en place de nouveaux investissements publics conduisent à une pression fiscale plus élevée, et non à des transferts d’impôts depuis les pays membres ?

 

 Retrouvez Patrick Artus lors des Jéco 2017 sur Débat de politique économique : retour vers le passé (et 4 autres conférences)

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