L’incidence des grandes infrastructures sur la croissance économique et l’aménagement du territoire et des villes.

Jean-Claude Prager , Directeur des études économiques de la Société du Grand Paris

 

Les résultats les plus récents de l’économie géographique moderne montrent que les grandes infrastructures de transport ont un effet significatif sur l’aménagement des territoires et la création de richesses. Les projets d’infrastructures nouvelles entraînent des gains d’accessibilité et ont une influence sur l’attractivité des points nodaux des infrastructures de transport et donc de la demande immobilière autour des gares ou des nœuds routiers. La réalisation d’infrastructures contribue à la relocalisation de la croissance au profit des zones les mieux desservies entraînant des effets d’agglomération porteurs de productivité et des bénéfices pour la croissance. Les connaissances actuelles permettent même de quantifier, dans de nombreux cas, les effets à attendre de la réalisation des infrastructures et donc de mieux fonder des décisions publiques toujours difficiles à prendre.

Le projet du Grand Paris Express est un cas d’application de ces idées, comme l’est d’ailleurs également le projet Cross Rail de Londres, pour montrer le caractère significatif des effets des grandes infrastructures sur l’économie.

Pour apprécier l’impact territorialisé du Grand Paris Express, la Société du Grand Paris a mobilisé les techniques les plus reconnues aujourd’hui par leur rigueur théorique d’approche et leur cohérence, des modèles « Land Use Transport Interaction » qui intègrent les différentes relations en cause dans la croissance urbaine avec des logiciels complexes qui permettent de simuler à un niveau assez fin les interactions entre l’amélioration locale de l’accessibilité et l’offre et la demande de surfaces construites. La Société du Grand Paris a choisi trois modèles éprouvés et aux caractéristiques différentes, pour en comparer les résultats. Les modèles ont convergé vers la même conclusion : la mise en œuvre du projet bénéficie aux territoires qu’il dessert localement, il est levier d’une concentration supplémentaire de l’emploi et de la population autour de son tracé et permet de continuer la tendance à la densification de la population et de l’emploi observée au cours des dernières décennies et qui avait marqué une inflexion par rapport à l’étalement urbain de la deuxième partie du 20ème siècle. Le développement de l’emploi s’effectuera principalement à l’intérieur de la métropole et selon un axe Roissy-Saclay alors que celui de la population concerne les mêmes territoires mais avec une tendance un peu plus forte à l’étalement. Le futur réseau viendra accroitre l’accessibilité des principaux pôles économiques de la région pour lesquels des perspectives de développement sont largement anticipées (Plaine CO, Boulogne Issy Clamart, La Défense-Nanterre, Roissy…). D’autres pôles en transformation vont bénéficier du développement de hubs d’interconnexions et verront la croissance de l’emploi se développer probablement plus rapidement que par le passé (comme par exemple Villejuif Gustave Roussy, Orly…) avec une part d’emplois de cadres des fonctions métropolitaines certainement plus élevée.

La polarisation et la densification ont des effets extrêmement positifs pour la création de richesses et le bien-être collectif au niveau macroéconomique. Le mécanisme des externalités d’agglomération est connu depuis longtemps, et on sait aujourd’hui mesurer l’importance de ces effets d’agglomération, grâce à des études sur la relation entre les variations de productivité des entreprises avec celles de la densité des emplois comme avec celles du potentiel marchand. Les données connues sur les élasticités en cause mettent bien en évidence un impact très important de la réalisation de l’infrastructure sur la productivité des entreprises.
L’impact sur la croissance des emplois et du PIB passe par trois canaux : productivité, marché du travail et attractivité.

Un modèle spatial spécifique mis en œuvre par une équipe du LIEPP a permis de détailler les relations existantes au sein de la région Île de France entre l’amélioration de l’accessibilité interne, le marché du logement, les créations d’emplois et le chômage d’équilibre. Il explicite la segmentation entre un marché locatif privé en partie libre et en partie réglementé d’une part, et un marché du logement social fortement public, d’autre part. Le modèle montre que la réalisation d’une infrastructure en rocade comme celle du Grand Paris Express réduit le gradient des prix immobiliers en fonction de la distance au centre, et permet de conclure que, toutes choses égales par ailleurs, l’arrivée du métro automatique entraînera une diminution relative des prix de l’immobilier. L’impact sur l’emploi est important, une amélioration de 1% des temps de transport entraînant une baisse des loyers au centre de l’agglomération de 0,53% et une baisse de 1% des coûts du logement, ayant pour effet une augmentation de 0,06% du nombre d’emplois par le canal de la productivité des entreprises. On peut considérer que le projet entraîne une création de 160000 emplois. Les effets sur l’emploi supposent que les constructions de logements viennent accompagner la dynamique économique car la pression à la hausse des loyers en cas de pénurie viendrait entraver les gains de productivité des entreprises. Une autre dimension de ce choc d’offre doit être soulignée ; elle concerne les gains de productivité des entreprises induits par les effets d’agglomération. Cette augmentation de la productivité est porteuse d’emplois car les gains de productivité dus aux effets d’agglomération réduisent la pression à la hausse sur les prix : ils ont donc des effets sur la demande et le niveau de la production. Un modèle analysant développé aux Etats Unis sur cette base par A. Anas et appliqué au Grand Paris donne des données équivalentes à celles du LIEPP.

S’agissant de l’attractivité, il faut souligner que les déterminants précis de la localisation des activités internationalement mobiles restaient encore peu étudiés à l’échelle des territoires, car la recherche académique s’était jusqu’à présent concentrée en très grande majorité sur l’analyse quantitative des décisions de localisation des investissements internationaux au niveau des pays ou des régions, principalement en raison du manque de données socioéconomiques à l’échelle des villes. Les études académiques effectuées depuis 2012 ont mis en évidence les effets des infrastructures sua localisation des FDI et permettent d’en offrir une mesure. On a évalué l’impact du développement des métros sur le nombre d’investissements internationaux, sur la période 2003-2014, à partir d’une base de données concernant 200 aires urbaines dans le monde. Les analyses ont permis de conclure à un lien positif causal de la relation entre création ou développement de métros et augmentation des investissements internationaux : l’élasticité entre la taille du système de métro et le nombre de projets varie de 0,1 à 0,2. Autrement dit, pour le Grand Paris, on peut envisager une augmentation du nombre de projets internationaux qui se situe entre 10% et 20%. Il s’est agi, dans cette étude, uniquement des créations d’emplois et d’activité par les investissements internationaux nouveaux. Il ne faut pas oublier que le stock des emplois internationalement mobiles de la région Île de France est supérieur à 100000 (environ 20% des 600000 emplois contrôlés par les groupes étrangers dans la région d’Ile-de-France le sont dans des fonctions non présentielles ou métropolitaines selon l'INSEE) et une amélioration du fonctionnement métropolitain aura indéniablement un effet positif pour consolider les emplois existants dans une concurrence internationale avivée, alors que, sans la réalisation de l’infrastructure, ces emplois internationalement mobiles seraient en jeu. A cela doit être ajouté l’impact positif du projet sur l’attractivité touristique qui nourrit un secteur d’activité dont l’emploi global est également de l’ordre d’une centaine de milliers. On peut donc considérer que le montant total des emplois « de base » supplémentaires ou sauvegardés sera très important, de plusieurs dizaines de milliers, auxquels il faut ajouter les présentiels induits par le mécanisme de caractère keynésien décrit plus haut, sont liés à l’attractivité dans le long terme de la région.

Enfin, pour le marché du travail, un modèle d’équilibre général de croissance de l’économie de la région Île de France a été conçu et calibré par une équipe de Lille pour quantifier, dans un cadre macroéconomique d’ensemble, la réduction du chômage entraînée par l’amélioration de l’accessibilité. Il montre qu’à demande extérieure donnée, dans les conditions actuelles, l’amélioration de l’accessibilité interne peut conduire à une augmentation de l’emploi et une baisse des taux de chômage de 3%, soit environ 180000 actifs.

Enfin, pour répondre à une idée courante en France que la croissance de la région parisienne s’effectue au détriment de celle du reste du pays, il est apparu nécessaire de documenter cette question de la manière la plus conforme aux connaissances économiques actuelles. Cela a été fait en recourant à deux techniques de modélisation interrégionale indépendantes, un modèle européen mis en œuvre par l’équipe du Joint Research Centre de la Commission Européenne et un autre modèle spécifique, transposé à la France d’un modèle utilisé au Royaume Uni. On montre qu’un choc positif sur le système de transports et donc sur la productivité de la région Île de France entraîne une hausse assez nette du PIB et de l’emploi dans la région Île de France mais également sur l’ensemble du reste du territoire métropolitain, de 16% du PIB induit dans la région Île de France, sans revenus de transfert, mais cet effet peut être plus important dans la mesure où les transferts de revenus significatifs entre la région capitale et la province (20% du PIB de la région) conduisent à une augmentation de la demande en province.

Retrouver Jean-Claude Prager sur la conférence des Jéco 2017 Des grands projets pour renforcer les territoires?

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