Renforcer la protection des travailleurs des plateformes ….

Par Gilbert Cette, Professeur à NEOMA Business School, interviendra sur les conférences des Jéco 2022 : Pourquoi les entreprises peinent à recruter ?, Le pouvoir d’achat menacé et Quel statut pour les travailleurs des plateformes ?

Les travailleurs des plateformes de VTC, type UBER, ou de livraison, type Deliveroo, relèvent d’un statut d’indépendants. Ils sont fortement subordonnés et pâtissent, en comparaison avec les salariés, d’un important déficit de protections. Ce déficit ne se limite pas au domaine social. Il concerne également d’autres domaines comme la rémunération minimale, le droit au repos et les conditions de travail, la contestation d’une séparation qui prend pour eux la forme d’une déconnexion …

 

Les réponses des différents pays à ce déficit de protections sont contrastées en Europe. Un grand nombre de pays, dont ceux de l’Est de l’Europe, demeurent dans une logique de laisser faire qui maintient le déséquilibre de protections évoqué plus haut. D’autres pays, comme le Royaume-Uni et l’Italie, ont créé une nouvelle catégorie de travailleurs, intermédiaire entre le salarié et l’indépendant. Ce choix complexifie davantage la situation puisqu’une frontière parfois floue entre salarié et indépendant est remplacée par deux frontières tout aussi floues entre cette nouvelle catégorie et chacune des deux autres. Et les travailleurs relevant de cette nouvelle catégorie pâtissent toujours de protections appauvries par rapport aux salariés. Un dernier groupe de pays, comme l’Espagne, ont décidé de basculer ces travailleurs dans le salariat. Mais un tel choix, préconisé par certains dans le débat public en France, appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, dans leur très grande majorité, ces travailleurs préfèrent le statut d’indépendant à celui de salarié. Ce travail indépendant est souvent pour eux l’occasion de mettre un pied sur le marché du travail formel dont ils sont éloignés. Ensuite, ce basculement fait perdre des formes de flexibilité utiles à ces activités, ce qui peut les brider fortement au détriment du consommateur. Deliveroo a d’ailleurs décidé de cesser ses activités en Espagne.

La France a choisi une autre voie, préconisée depuis longtemps par Jacques Barthelemy et moi, consistant à amener les partenaires sociaux à construire eux-mêmes les normes protectrices adaptées à ces activités. L’autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), présidée par Bruno Mettling, a ainsi organisé, du 9 au 16 mai derniers, les premières élections professionnelles dans ces activités. Le taux de participation y a été plus faible qu’aux élections TPE de 2021 (5,4 %) : il est de 1,8 % pour les 84 000 livreurs inscrits et de 3,9 % pour les 39 000 conducteurs de VTC. Mais il s’agit d’une première et la sensibilisation à l’importance de ce scrutin n’était pas encore élevée parmi une population peu familiarisée au vote et, surtout pour les livreurs, très instable. Une nouvelle consultation aura lieu dans deux ans avant la mise en place d’un cycle de quatre ans. Dans les deux activités, livraison et VTC, une grande majorité des suffrages s’est portée sur des organisations favorables au statut d’indépendant. Dès la fin de l’année et après la désignation des représentants des plateformes, les négociations s’amorceront sur les questions difficiles de la rémunération minimale, des conditions et horaires de travail, de la transparence des algorithmes …

La France a donc choisi une approche privilégiant la négociation collective pour construire des normes protectrices, adaptées aux spécificités de ces activités et de ces travailleurs des plateformes. Il faut souhaiter un plein succès à cette approche dès les négociations de cette année. Et qu’elle pourra constituer une voie reconnue par la directive sur les plateformes d’emploi dont un projet est en discussion en Europe. Les normes issues de la négociation collective sont les plus à même de concilier au mieux protection des travailleurs et efficacité économique.

Par Gilbert Cette, Professeur d’économie à NEOMA Business School, et co-auteur avec Jacques Barthelemy de « Travail et changements technologiques : de la société de l’usine à celle du numérique », Odile Jacob, 2021.

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