Il est temps d'intégrer la santé mentale dans tous les domaines de la politique publique

Billet proposé par Fabrice Murtin (OCDE) qui intervient sur les conférences Jéco 2022 "La santé mentale : une priorité après la crise sanitaire" et "Lutter contre la pauvreté au plus près"

La crise du COVID-19 a eu des conséquences considérables sur notre façon de vivre, d'apprendre, de travailler et d'entrer en contact les uns avec les autres, et a influencé notre santé mentale à travers ces multiples changements. De même que tous les aspects de la vie des gens ont été touchés par la pandémie (santé, travail, revenu, éducation, loisirs…), la promotion d'une bonne santé mentale et la prévention de la mauvaise santé mentale n'est pas une tâche qui incombe au seul système de santé, mais qui doit impliquer de multiples domaines de la politique publique.

La perte d'êtres chers, d'emplois et de revenus, la perturbation de l'éducation et des services de santé essentiels, ainsi que l'accroissement de l'isolement social ont entraîné une forte augmentation des niveaux de détresse mentale dans tous les pays de l'OCDE, y compris la France. La prévalence des symptômes de mauvaise santé mentale ont augmenté - et dans certains pays, ils ont doublé, voire triplé - et à la mi-2021, plus d'une personne sur quatre dans 15 pays de l'OCDE risquait de souffrir d'anxiété ou de dépression. Dans l'ensemble, la santé mentale des jeunes, des chômeurs et des personnes en situation d'insécurité financière a été plus durement touchée que celle de la population générale.

Les pics de détresse mentale tendaient à être les plus élevés lorsque les infections et les décès dus au COVID-19 atteignaient également des sommets, et lorsque les mesures de confinement et les fermetures étaient les plus strictes. Cependant, plus de deux ans après le début de la pandémie, certaines données suggèrent que les niveaux de détresse de certains groupes de la population, en particulier les jeunes, restent élevés par rapport à ceux enregistrés avant l'épidémie COVID-19.

La détresse mentale a des répercussions importantes sur l'économie et le bien-être

La mauvaise santé mentale était déjà une préoccupation majeure bien avant 2020, son coût économique étant estimé à plus de 4,2 % du PIB, dont une grande partie est due à la baisse du taux d'emploi et de la productivité.

Il est plus difficile de rester et de réussir à l'école, de transiter vers l'enseignement supérieur ou le travail, de travailler de manière efficace et productive et de conserver son emploi lorsqu'on souffre de troubles mentaux. Même avant la pandémie, les personnes souffrant de troubles mentaux avaient 20 % de chances en moins d'être employées et elles étaient payées 17 % de moins que leurs homologues sans troubles mentaux. Les données des pays européens suggèrent que ces écarts ne se sont pas réduits au cours des cinq dernières années, et que l'écart entre les taux de chômage de ces deux populations a continué à augmenter, ce qui montre qu'il est de plus en plus difficile pour les travailleurs souffrant de troubles mentaux de conserver leur emploi. Déjà avant la crise, les jeunes souffrant de détresse mentale étaient 35 % de chances en plus de redoubler une année scolaire et présentaient un risque accru de décrochage scolaire. À l'avenir, les jeunes doivent être aidés à terminer leurs études et à passer de l'école au travail, et il est urgent de développer un soutien non stigmatisant et accessible en matière de santé mentale.

Au-delà de l'emploi et de l'éducation, la santé mentale des personnes est importante dans de nombreux autres aspects de leur vie. Nos expériences sociales, environnementales, relationnelles et politiques façonnent et sont à leur tour façonnées par notre santé mentale - et les personnes en mauvaise santé mentale s'en sortent systématiquement moins bien dans tous les aspects du bien-être comme le montre le graphique ci-dessous. Par exemple, les personnes souffrant de troubles mentaux sont plus susceptibles (plus de 20 points de pourcentage) d’avoir des difficultés à joindre les deux bouts, d'être insatisfaites de leur vie et de se méfier des autres, et plus susceptibles (plus de 15 points de pourcentage) de se méfier du système politique et d'être mécontentes de la façon dont elles utilisent leur temps.


Les pays de l'OCDE ont pris conscience de l'importance de la santé mentale, mais il faut faire davantage pour parvenir à des approches globales et intégrées

Pour être efficaces, les stratégies de promotion de la santé mentale devront adopter une vision globale et centrée sur l'individu, en reconnaissant que la capacité à s'épanouir dépend des conditions de vie générales des individus et des communautés. Il s'agit d'une tâche qui va bien au-delà du seul système de santé.

Tous les pays de l'OCDE ont reconnu l'importance des politiques relatives à la jeunesse, au lieu de travail, au bien-être et à la santé en adhérant à la Recommandation de l'OCDE sur une politique intégrée de santé mentale, de compétences et de travail. Cette recommandation énonce des principes sur la manière dont les pays peuvent renforcer les politiques de santé mentale par une action cohérente sur trois dimensions : i) la participation des intervenants de première ligne qui ne sont pas normalement considérés comme des acteurs de la santé mentale (médecins généralistes, infirmières, professeurs, responsables des ressources humaines…); ii) l'accent mis sur le dépistage et l'intervention précoces dans tous les domaines d'action ; iii) la fourniture de services intégrés de santé, d'éducation et d'emploi. En effet, au cours des cinq dernières années, de nombreux pays ont mis en place des stratégies de santé mentale dédiées aux jeunes, les écoles et les enseignants jouant un rôle central dans la promotion d'une meilleure santé mentale pour les étudiants.

Toutefois, comme le souligne le récent rapport de l'OCDE intitulé Fitter Minds, Fitter Jobs : From Awareness to Change in Integrated Mental Health, Skills and Work Policy, les interventions en matière de santé mentale interviennent souvent trop tard et restent confinées dans des silos, ce qui signifie que les gens ne reçoivent pas l'aide complète dont ils ont besoin.

Les politiques du lieu de travail peuvent jouer un rôle non négligeable dans la promotion d'une meilleure santé mentale pour tous, et les pays doivent renforcer l'aide à la santé mentale pour les personnes en congé-maladie. Les employeurs ont souvent très peu d’incitations à s'occuper de la santé mentale des travailleurs en incapacité de travail, ce qui fait que de nombreux travailleurs atteints de troubles mentaux dépendent des prestations sociales. Les politiques du marché du travail, les systèmes de protection sociale et les services de l'emploi joueront un rôle important dans l'atténuation des chocs du marché du travail sur la santé mentale. Même avant la pandémie, le soutien en matière de santé mentale était souvent limité aux services d'invalidité et n'était pas largement disponible dans les services de l'emploi. L'association de l'aide à l'emploi et de l'aide à la santé mentale sera essentielle pour de nombreux chômeurs, afin d'améliorer les perspectives d'emploi des personnes souffrant de troubles mentaux et de lutter contre le chômage de longue durée.

Outre ces domaines prioritaires, la santé mentale peut également être intégrée dans d'autres domaines de la politique publique, dont beaucoup ne reflètent pas encore systématiquement les avantages (ou les coûts) pour la santé mentale des stratégies proposées. La pertinence de la santé mentale dans certains de ces domaines, comme les politiques de logement, est plus évidente, et moins explorée pour d'autres, comme l'amélioration de la participation politique ou l'atténuation du changement climatique. Ces liens sont examinés dans le prochain rapport de l'OCDE intitulé «Mental health and well-being », qui sera publié en 2023. Ce rapport examine également comment les approches globales et pangouvernementales du bien-être déjà en cours de développement dans un certain nombre de pays de l'OCDE peuvent servir d'outil supplémentaire pour une meilleure intégration des politiques de santé mentale.

Pour ne citer qu'un exemple, il est clair que le changement climatique nuit à la santé mentale à la fois directement et indirectement. En raison de la fréquence accrue des catastrophes climatiques, davantage de personnes sont susceptibles de souffrir de dépression, d'anxiété, de stress post-traumatique et de problèmes de toxicomanie, et les personnes souffrant déjà d'affections peuvent avoir du mal à gérer leurs symptômes, ce qui accroît encore la pression sur les systèmes de santé mentale. La hausse des températures est également liée à la perte de biodiversité, qui est elle-même un facteur de résilience pour le bien-être mental. En outre, le changement climatique a donné naissance à de nouvelles formes de détresse, notamment l'éco-anxiété (la crainte de vivre des événements traumatisants liés au climat et le sentiment d'être paralysé et désespéré par l'ampleur du problème). En 2021, plus d'un tiers des jeunes de 6 pays de l'OCDE, dont la France, ont déclaré que leurs sentiments à l'égard du changement climatique interfèrent négativement avec leur vie quotidienne. La prise en compte de l'impact du changement climatique sur la santé mentale renforce l’importance de la réduction des émissions de carbone, et permet de concevoir des interventions plus efficaces dans la pratique clinique, les interventions d'urgence et la résilience des communautés.

La crise du COVID-19 a mis en lumière l'importance de la santé mentale et constitue une fenêtre d'opportunité pour un changement vers une politique de santé mentale plus intégrée. Il ne faut pas laisser passer cette chance, alors que de nouveaux facteurs de risque pour la santé mentale, comme la guerre de la Russie contre l'Ukraine et la crise du coût de la vie en Europe, sont déjà apparus. Investir davantage dans la santé mentale dans tous les domaines doit devenir, et demeurer, une priorité.

Christopher Prinz, OECD Directorate for Employment, Labour and Social Affairs
Lara Fleischer, OECD Centre for Well-being, Inclusion, Sustainability and Equal Opportunity

Pour en savoir plus
COVID-19 and Well-being: Life in the Pandemic | en | OECD
Fitter Minds, Fitter Jobs: From Awareness to Change in Integrated Mental Health, Skills and Work Policies | en | OECD
Well-being and mental health – Towards an integrated policy approach - OECD

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