Leçons académiques

Deux prix de thèse vont être décernés cet après-midi lors du congrès annuel de l'Association française de sciences économiques. Le prix AFSE 2010 distingue Jeanne Hagenbach pour sa thèse « Communication stratégique et réseaux ». Le prix de thèse monétaire, financière et bancaire 2010 de la Fondation Banque de France, décerné en partenariat avec l'AFSE, a été attribué à Cristina Semenescu-Badarau pour sa thèse « Politiques macroéconomiques et disparités régionales dans la zone euro ». Les deux lauréats nous ont résumé leurs travaux. Deux prix de thèse vont être décernés cet après-midi lors du congrès annuel de l'Association française de sciences économiques. Le prix AFSE 2010 distingue Jeanne Hagenbach pour sa thèse «Communication stratégique et réseaux». Le prix de thèse monétaire, financière et bancaire 2010 de la Fondation Banque de France, décerné en partenariat avec l'AFSE, a été attribué à Cristina Semenescu-Badarau pour sa thèse «Politiques macroéconomiques et disparités régionales dans la zone euro». Les deux lauréats nous ont résumé leurs travaux.
Les Echos, Edition du 10/09/2010 rubrique Idées

Comment mieux faire circuler l'information par jeanne Hagenbach

Deux observations ont motivé ma recherche théorique sur le thème «communication stratégique et réseaux». Premièrement, le succès d'un groupe dépend souvent de la capacité de ses membres à mettre leurs connaissances en commun. Pour bien évaluer son environnement et réagir à celui-ci, une entreprise doit souvent parvenir à centraliser les informations détenues par ses divisions. De même, une équipe de travailleurs bénéficie généralement de la réunion de savoirs complémentaires mais au départ dispersés. Deuxièmement, beaucoup de ces échanges d'informations ont lieu via des réseaux informels et non par des institutions centralisées et contraignantes. Un réseau de communication peut être défini comme l'ensemble des canaux à travers lesquels des agents échangent librement des renseignements.
En admettant que la prise de décision économique soit facilitée par la centralisation d'informations pertinentes, on peut alors se demander s'il est possible de lier la performance d'une organisation à sa structure de communication interne. Est-il possible de déterminer des structures de réseau qui amélioreraient les capacités d'agrégation des informations dans un groupe ? C'est cette question que pose déjà une vaste littérature économique fondée sur la théorie des équipes initiée par Jakob Marschak et Roy Radner (1972). Lorsqu'il existe des contraintes physiques qui rendent coûteuse la transmission d'informations dans une organisation, l'objectif est de proposer une structure permettant de réduire ces coûts. Toutefois, dans cette théorie, il y a une hypothèse forte : les membres d'une « équipe » au sens de cette théorie profitent pleinement d'agir dans l'intérêt de l'organisation. Les bénéfices qu'ils tirent individuellement d'une communication interne efficace s'accordent avec les bénéfices qu'en tire le groupe dans son ensemble.
Au contraire, dans ma thèse, il y a l'hypothèse d'une divergence entre intérêts individuels à la circulation des informations et intérêt collectif, ce qui entrave leur mise en commun. Dans de nombreuses organisations, cette divergence est omniprésente. Les décisions prises dans une entreprise au niveau global affectant souvent ses départements, chacun d'eux peut vouloir manipuler les informations qu'il transmet au décideur (concernant le temps ou le budget pour un projet commun par exemple) afin de pousser les décisions dans la direction la plus adaptée à ses souhaits. De la même manière, les membres d'une équipe de travailleurs peuvent, d'une part, avoir intérêt au succès collectif et, d'autre part, se trouver en compétition pour être promus. Dans ce cas, chaque individu peut être tenté de retenir des informations utiles au groupe afin de conforter sa propre position. Ma thèse modélise des situations dans lesquelles les agents cherchent à influencer les décisions qui les affectent en manipulant la révélation des informations qu'ils détiennent.
Une partie des travaux, menés avec Frédéric Koessler, ont permis de lier le comportement d'un individu en matière de révélation honnête d'informations au conflit d'intérêts existant entre ce dernier et les agents auxquels il s'adresse. Puisque ce conflit peut être inhérent aux préférences des agents en ce qui concerne les décisions prises dans leur groupe, il n'est pas toujours possible de le réduire. L'instauration d'un réseau de communication adapté permet alors de mettre en relation des individus incités à ne pas falsifier les renseignements qu'ils échangent. Dans le même but, nous montrons qu'il est généralement bénéfique de mettre en place des structures de communication contraignant à la révélation publique des informations. L'architecture des canaux de communication peut être utilisée dans l'intérêt collectif, en agissant sur les incitations des agents à divulguer leurs données sincèrement et rapidement. Enfin, notons que les comportements stratégiques des détenteurs d'informations affectent probablement en retour les positions qu'ils occupent, renforcent ou perdent dans un réseau. Cet autre sens de causalité semble ouvrir d'ambitieuses pistes de recherche.

Jeanne Hagenbach est chercheur postdoctorat à l'université de Mannheim.

Un nouveau contrat pour la BCE par Cristina Semenescu-Badarau

La zone euro constitue une union monétaire hétérogène. Les pays qui en font partie étant chacun touchés par des chocs spécifiques, leurs besoins de stabilisation sont différents et donc difficilement gérables par des actions communes. Pour répondre à cette imperfection, la zone euro combine une politique monétaire commune, déléguée à la Banque centrale européenne (BCE), avec des politiques budgétaires nationales, dont la responsabilité incombe aux gouvernements des Etats membres. La mission principale de la BCE est de maintenir la stabilité des prix dans l'Union, les gouvernements sont responsables de leurs dépenses publiques tout en respectant des règles communautaires de discipline budgétaire.
Cette configuration devait réduire les asymétries entre les pays de l'Union afin d'assurer une croissance saine avec un taux de chômage faible, dans un environnement non inflationniste. Pourtant, le résultat n'est pour l'instant pas très encourageant. La stabilité des prix a été maintenue sur l'ensemble de l'Union, mais des divergences d'inflation et de revenus persistent et l'activité économique s'est avérée nettement moins dynamique que prévu. Le bon fonctionnement du système est de plus en plus souvent remis en question (surtout après les difficultés rencontrées dans la gestion de la crise récente). Dans ma thèse, je tente d'approfondir l'étude des politiques macroéconomiques dans une Union hétérogène, et de proposer des stratégies alternatives pour la banque centrale et les gouvernements.
Depuis le début de la zone euro, la BCE a opté pour une politique strictement centralisée, conduite sur la base des performances économiques globales des pays membres. Or il serait bénéfique de prendre en compte les disparités nationales tant que des asymétries structurelles persistent dans l'Union. Je propose un « contrat optimal » pour la politique monétaire, pénalisant la banque centrale pour les divergences d'inflation et de revenus dans l'Union, après avoir montré que, si la banque centrale était hostile uniquement aux écarts d'inflation sans être concernée par les divergences de revenus, sa politique ne serait pas forcément meilleure que la politique centralisée actuelle.
Ce résultat est confirmé dans un cadre plus général qui introduit dans l'analyse des éléments de politique budgétaire concernant la gestion des dépenses publiques dans l'Union : une politique monétaire commune orientée vers la réduction des divergences nationales apparaît bénéfique, mais uniquement si la banque centrale est hostile simultanément aux divergences d'inflation et de revenus. Mais comme la mission de la BCE concerne principalement la stabilité des prix, les politiques budgétaires restent les principaux outils pour réduire les disparités. En résumant les résultats de cette thèse, leur conduite devrait se faire dans un cadre bien coordonné, qui prend en compte l'existence d'asymétries structurelles dans l'Union. La coordination pourrait venir d'un accord commun sur les variables nationales objets de la stabilisation budgétaire (inflation et revenus, par exemple) et leur importance relative, tout en maintenant l'autonomie des gouvernements nationaux dans la conduite de leurs politiques.
Si cette thèse n'apporte pas la solution optimale de gouvernance macroéconomique pour la zone euro, elle présente des pistes pour une amélioration de la gouvernance dans le contexte actuel de l'Union européenne. Elle ouvre par ailleurs des portes vers des recherches futures en matière de gouvernance optimale dans une union monétaire hétérogène.

Cristina Semenescu-Badarau est chercheur postdoctorat à l'université d'Orléans.

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