Réconcilier les robots et l'emploi

Conférence organisée le

La révolution des usages

En 1961, le fabricant automobile General Motors installait le premier robot industriel pour le déchargement d'une machine à mouler. Pendant cinquante ans, la robotique s'est considérablement diffusée dans le secteur de l'automobile puis de l'électronique. Quittant les rivages connus de l’automobile et de l’électronique, la robotique ne cesse d’infiltrer de nombreux secteurs. Ces dernières années, les innovations des roboticiens ont ainsi permis d’élargir la gamme de robots et d’offrir des produits adaptés pour de nouveaux secteurs, tels que l'agro-alimentaire, la cosmétique, la pharmacie voire l'aéronautique.
Cette révolution des usages est aussi stimulée par l’intégration de nouveaux robots "coworkers" ou cobots. Ces derniers, moins rapides, puissants, précis que les robots industriels de peinture ou de soudure, sont capables d'effectuer une plus large palette d'opérations en utilisant des outils et de travailler sur une chaîne en collaboration avec des opérateurs humains. Ces robots, simples à programmer, sont aussi moins onéreux et vont continuer de peser sur l’emploi industriel. Baxter, le robot de travail de Rethink Robotic, conçu par Rodney Brooks, le père du robot aspirateur Roomba, est un des premiers exemples de cette nouvelle classe de robots industriels. Pour apprendre quelque chose au robot, il suffit de saisir ses bras et de les guider pour qu'il fasse les mouvements corrects de la séquence qu'il doit faire, évitant la programmation informatique. Ainsi alors qu’un robot industriel coûte 120.000 dollars entre l’achat, l’équipement, la maintenance et la formation, Baxter est vendu au prix de 22.000 dollars.

Le passage de l'usine au bureau

Mais bien plus important, alors que les robots se sont longtemps cantonnés aux usines, ils sont en train de s’en extraire avec une rapidité qui effraie. Les innovations dans le champ de la Robotique Mobile (Mobile Robotics) et l’Apprentissage Automatique (Machine Learning) vont lourdement peser sur l’emploi dans les services. Dans leur fameux ouvrage de 2011, Race Against the Machine qui fait office de Bible pour les néo-luddistes, E. Brynjolfsson et A. McAfee affirmaient que le rythme de l’innovation technologique s’accroissait et surtout que l’automatisation se répandait du traditionnel secteur manufacturier vers les services de toute nature. La condition actuelle pour automatiser est d'avoir un jeu de données suffisamment étoffé pour répondre à la quasi-totalité des situations. C'est par exemple le cas de la traduction. Dans une sorte de jeu de dupes, à chaque fois que des interprètes humains ont traduit, ils ont fourni des jeux de données aujourd'hui réutilisés par les logiciels de traduction. Ces derniers ont fait des progrès fulgurants en quelques années et il est désormais possible de traduire des pages Web en temps réel de manière très satisfaisante.
Autant la substitution des tâches manuelles routinières paraissait évidente, autant les spécificités de tâches particulières semblaient les protéger pour plusieurs années. Une décennie plus tard, aucune tâche n’est à l’abri des récents développements dans la recherche de donnée, la captation et le traitement du signal, les algorithmes de calcul et l’intelligence artificielle. En 2003, qui aurait imaginé que 70% des ordres de bourse sur les actions de sociétés cotées seraient le fait de robots de trading ? Les tâches intellectuelles centrées autour du respect de la norme, telles que les métiers de la comptabilité, de l'audit, du juridique, des ressources humaines qui étaient déjà régulièrement externalisés dans des pays à faible coût du travail, sont désormais sous la menace d'algorithmes toujours plus précis. En fait les robots sont déjà là et le grand remplacement ne fait que commencer. Ces dernières semaines, l'ONU a organisé une réunion sur les armes létales autonomes qui sont théoriquement capables de tuer sans que l'homme n'intervienne. Et Lux Research a annoncé que les voitures autoguidées représenteraient jusqu'à dix pour cent du marché de l'automobile dans moins d'une quinzaine d'années.
La prochaine étape sera le rapprochement des évolutions dans le domaine de la robotique physique et celui de l'apprentissage automatique. Les robots sont en train de se redresser, d'apprendre à marcher et leur boite crânienne grossit. C'est la fusion entre des «corps» qui seront toujours plus mobiles dans leurs mouvements et leurs déplacements et des «esprits» capables de réagir de façon de plus en plus fine aux stimulis de l'environnement. Pour illustrer ces progrès, des ingénieurs de l'Ecole polytechnique de Lausanne viennent de mettre au point une main robotique capable d'attraper de façon autonome n'importe quel objet en plein vol avec un temps de réaction de cinq centièmes de seconde. L'évolution ultime sera l'avènement de l'intelligence artificielle. Si l'automatisation actuelle des services n'est que la répétition de comportements déjà programmés, les capacités d'évolution autonome des programmes s'accroissent rapidement et leur donnent la possibilité de devenir de plus en plus efficaces.

La peur du grand remplacement

Le spectre du chômage technologique hante de plus en plus les pays développés. La sphère intellectuelle américaine publie des prévisions toujours plus sombres sur l'avenir d'êtres humains condamnés par la technologie. M. Vardi prophétise que l'ensemble des emplois humains aura disparu d'ici 2045 et les économistes C. Frey et M. A. Osborne répondent que la moitié des emplois américains auront été remplacés d'ici vingt ans. Les tristes augures s'accordent sur les responsables de ce massacre, les robots.
La littérature fleurit et pas une semaine ne passe sans une attaque en règle du progrès des technologies de l’automatisation. Paul Krugman cisèle une chronique intitulée "Robots and Robber Barons". Jaron Lanier, un des pionniers d'Internet, dans "Who Owns the Future ?" annonce que la technologie détruit la classe moyenne quand "Race Against the Machine" d'E. Brynjolfsson et A. McAfee fait office de Bible pour les néo-luddistes, du nom de la révolte menée par l'ouvrier Ned Ludd dans l'Angleterre de 1811 visant à détruire les machines textiles qui remplaçaient les ouvriers.
Ce néo-luddisme, incroyablement fort dans une société pourtant si ouverte au progrès technologique, s'explique par la peur de la fin du déversement. La première révolution industrielle a poussé au remplacement d'artisans qualifiés par une main d'ouvre non qualifiée. La seconde révolution industrielle a marqué une qualification croissante des ouvriers qui constituaient l'épine dorsale des démocraties. La troisième révolution industrielle a favorisé, avec l'informatisation, l'émergence d'un grand nombre d'emplois de services qualifiés mais aussi la robotisation des usines et donc la disparition progressive des ouvriers. La spécialisation de travailleurs qualifiés dans les services entretenait toutefois de nombreux emplois de service faiblement qualifiés. Mais les avancées des machines vont conduire à la disparition des emplois de manutention ainsi qu’aux emplois cognitifs les moins créatifs. Songez déjà que plus de 70% du volume d’ordres sur le marché des actions américains est l’oeuvre de robots de trading.

Une sortie par le haut

Il est tout à fait probable qu'un tiers à la moitié des emplois d'aujourd'hui auront disparu du fait de la robotisation croissante d'ici deux ou trois décennies. Ce chiffre est d'ailleurs assez proche du bouleversement engendré par le mouvement de tertiarisation entre 1970 et 2000. Mais cette peur de la technologie ne doit surtout pas nous paralyser car elle nie l'infinité des besoins de l'être humain. Une plus forte productivité signifie des biens et services moins chers et donc un niveau de vie par tête plus important. Nos besoins n'ont jamais cessé de croître et l'offre nouvelle trouvera toujours preneurs.
Concernant les compétences requises, l’automatisation va exiger la dé-spécialisation pour aller vers plus de flexibilité. Les emplois de demain feront appel la créativité, à la dextérité ou à l’empathie. L'automatisation des processus créatifs semblent aujourd'hui relativement éloignés. Les progrès de la mobilité des robots ne seront pas immédiats et les tâches sur des systèmes complexes en environnement difficile comme la plomberie resteront à l'avantage de l'opérateur humain. Le besoin de sociabilité et de relations humaines demeurera toujours très fort et s'exprimera notamment dans les secteurs du loisir, du tourisme, de l'hospitalité. Il faut donc préparer les futures générations à ce nouvel état de fait, expliquer quelles compétences seront recherchées, adapter le système éducatif en conséquence, laisser la possibilité d'accéder à de nouvelles formes d'apprentissages avec des relations contractuelles plus souples. Voici autant de pistes pour accompagner un changement face auquel la résistance sera vraisemblablement vaine.

Modérateur :

Mabille Philippe (Directeur adjoint de la rédaction de La Tribune)

Intervenants :

Debonneuil Michèle (Inspecteur général des Finances)
Pignault Gérard (Directeur du CPE Lyon)
Bonnell Bruno (PDG de Robopolis )
Rivaton Robin (Economiste, membre du Conseil scientifique de Fondapol)

Vidéo de la conférence :