MOOC c'est quoi l'éco : Semaine 6 Qu’est-ce qu'une bonne politique économique ?

Naviguer dans le mooc c'est quoi l'éco. (Nous reproduisons sur ces pages un MOOC que nous avions réalisé sur FUN en 2016 et 2017 sans les exercices et forums)
S1 - L'économie et vous
S2 - Quelle est la situation de l'économie française ?
S3 - Comment et pourquoi générer de la croissance économique ?
S4 - Le commerce international, la mondialisation : danger ou opportunité ?
S5 - Monnaie, banque, finance : ces sujets nous concernent tous
S6 - Qu’est-ce qu'une bonne politique économique ?

Introduction

Nous avons examiné dans les semaines précédentes les raisonnements des économistes qui proposent plusieurs pistes pour améliorer notre bien-être dans un monde de ressources rares. La première était la croissance économique, la seconde l'ouverture internationale des économies, la troisième, le développement de la monnaie et de la finance. A chaque fois nous avons constaté que des problèmes émergeaient quand on s'engageait sur chacune de ces pistes avec la tentation de se tourner vers l’État pour apporter une réponse. C'est d'ailleurs la quatrième piste qu'il nous reste à voir : peut-on améliorer le bien-être des citoyens en conduisant de bonnes politiques économiques ?

Mais qu'est-ce qu'une bonne politique économique ? Jusqu'où l’État doit-il intervenir ? Y-a-t-il des formes d'intervention plus efficaces que d'autres ? Autant de questions qui divisent les économistes. Pourtant, nous traversons une situation qui oblige à apporter des réponses. En effet avec la crise économique qui a éclaté en 2007-2008, on a vu les acteurs publics venir au secours du système bancaire et financier qui risquait de s'effondrer, la marche accélérée de la mondialisation a été interrompue et le rythme de la croissance économique s'est ralenti, particulièrement dans les économies émergentes. Peut-on alors tout attendre des États et des politiques qu'ils mettent en œuvre pour retrouver la "prospérité" ? Serait-ce une quatrième piste pour améliorer notre bien-être ou faudra t-il repenser nos objectifs et nos stratégies pour favoriser un développement soutenable ?

MOOC c'est quoi l'éco : Semaine 6 A - Intervention de l'État dans les économies de marché (Alain Trannoy)

Alain Trannoy directeur d'étude à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) nous explique les raisons qui poussent les Etats à intervenir dans l'économie.

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NOTIONS ET RAISONNEMENTS À PARTIR DE L'ANALYSE D'Alain trannoy

Alain Trannoy nous présente trois grandes raisons qui justifient l’intervention publique dans l’économie de marché. Ces trois raisons ont été définies par Richard Musgrave (1910 – 2007) qui était un professeur d’économie dans différentes universités aux Etats-Unis.

La première à laquelle fait référence Alain Trannoy est la stabilisation du cycle économiques. En effet vous l’aurez surement remarqué, la croissance et plus généralement le développement économique n'est pas un long fleuve tranquille. On observe des périodes d’accélération de la croissance suivies de périodes de ralentissement. Dans ce contexte d’instabilité de la croissance économique, le rôle de l’État, et plus généralement des pouvoirs publics, va être de stabiliser cette croissance pour éviter les périodes de décrochage ou les périodes d’hyperactivité (Figure ci-dessous). Ces interventions sont à différencier des interventions à plus long-terme qui visent à augmenter la croissance (investissement dans l'éducation ou dans les infrastructures, par exemple). La notion de court-terme associée à la fonction de stabilisation est très importante.

cycle économique

Pour illustrer une politique de stabilisation imaginons une crise qui a lieu dans un pays quelconque. Au vu de la chute de la croissance dû à une baisse de la demande, l’État va pouvoir augmenter les aides (chômages, allocation familiales etc…) afin de limiter cette baisse. En effet en injectant de l’argent par le biais des aides, l’État va pousser les gens à consommer et donc affecter positivement la demande. A l’inverse, lorsque l’économie s’emballe, l’État doit ralentir la croissance pour éviter un risque de surchauffe de l’économie (autrement dit, une inflation élevée). Il va donc décider, par exemple, de réduire ses dépenses et de diminuer les aides. Cela va entraîner une baisse de la consommation et donc un ralentissement de la croissance économique.

La seconde raison exposée par Alain Trannoy est l’allocation. Cette raison trouve ses origines dans les défaillances des marchés. En effet, les marchés, d’un point de vue théorique, allouent les ressources aux agents économiques de manière parfaite. Sauf qu’il est de notoriété publique que les marchés ne sont pas parfaits. Par exemple l’existence de monopoles (c.f Microsoft en 2004 avec le procès anti-trust en Europe), l’information imparfaite (par exemple, lorsqu'un banquier prête de l’argent a moins d’informations sur les risques encourus que l’emprunteur, on parle d’asymétrie d'information) ou les externalités (ou effets externes, Alain Trannoy en parle à la fin de la vidéo, nous y reviendrons).

Enfin, la troisième et dernière raison est la redistribution. Elle implique l’insertion d’un principe de justice sociale dans la distribution naturellement issue des marchés. Cela n’est donc pas lié à une défaillance des marchés mais à une conception idéologique. En effet, on peut penser que la distribution n’est pas juste alors qu’elle est issue d’un marché parfait. La gestion de la redistribution est donc largement influencée par des convictions et dépend essentiellement de la volonté politique et de la conception que l'acteur public se fait de la justice sociale.

A la fin de la vidéo, Alain Trannoy précise la notion d’effets externes. Dans le langage des économistes on parle d’externalités. Plus formellement, elles représentent les effets négatifs ou positifs qu’ont les activités des agents économiques mais qui n’affectent pas les prix. En plus de l’exemple cité par Alain Trannoy, la pollution, on peut aussi évoquer d’autres externalités négatives comme le licenciement. En effet, lorsqu’une entreprise décide de licencier tout ou partie de ses salariés, elle affecte négativement la société sans en payer le prix. Cela souligne la nécessité d’implémenter des compensations permettant d’aligner le coût monétaire du licenciement au coût réel supporté par l'ensemble de la société. A l’inverse il existe des externalités positives, par exemple lorsqu’une entreprise avec un fort investissement en R&D installe ses bureaux, elle affecte positivement toutes les entreprises ayant le même profil aux alentours. Les pouvoirs publics peuvent accentuer cette externalité positive en créant, par exemple, des parcs technologiques ou des zones d’activité.

Compléments à l'analyse d'alain trannoy

- Concernant la redistribution, vous pouvez lire cette note du FMI qui traite des moyens d'analyser les inégalités. Vous pouvez aussi lire ce rapport (très complet) sur les inégalités en France. N'hésitez pas à le feuilleter ou à aller directement aux chapitres qui vous intéressent. Enfin, une note du CAE sur la redistribution spatiale qui concerne non pas la redistribution entre agents économiques mais entre territoires.

-Concernant les externalités, cette note du CAE propose un encadré (page 2) sur les externalités dans le secteur du numérique. Vous pouvez aussi lire une note de l'IRIS sur le coût de la pollution au Canada. Enfin, voici un petit résumé sur les externalités.

MOOC c'est quoi l'éco : Semaine 6 - B Politiques d'austérité ou de relance ? (Xavier Ragot)

Xavier Ragot, directeur de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques) et professeur à la PSE nous présente les débats actuels qui concernent les politiques économiques.

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Notions et raisonnements à partir de l'analyse de Xavier Ragot

L’interview de X.Ragot concerne les débats actuels de politiques économiques, notamment ceux que vous pouvez lire et entendre dans les médias. Vous aurez deviné que ce sujet est vaste et très conflictuel, en effet les avis divergent entre les différents groupes d’économistes. Comme souligné par X. Ragot, le principal point de friction ce concentre sur l’origine de la faible croissance mondiale observée actuellement. Pour bien comprendre cette situation il nous faut revenir un peu sur ce que vous avez pu apprendre durant les précédentes semaines. La croissance est liée à une demande et une offre suffisante. En d’autres termes, côté offre, il faut que les entreprises produisent suffisamment (ni trop, ni pas assez) et avec une productivité croissante (liée à l’investissement). De plus, côté demande, il faut que les consommateurs (vous, les entreprises mais aussi l’État) utilisent l’argent qu’ils reçoivent pour consommer.

productivité

Le premier diagnostic évoqué par X.Ragot relève d'un problème d’offre. Dans ce cas la faible croissance que l’on observe aujourd’hui dans le monde est due à un épuisement du progrès technique entraînant une faible augmentation de la productivité. Ce fait est illustré pour la France par la figure ci-dessus. Il est important de noter qu’il y a toujours une augmentation de la productivité mais que cette augmentation diminue. Dans ce cas, la bonne réponse des gouvernements seraient de faire une politique d’offre en stimulant la productivité des entreprises, en investissant dans la formation et dans tout ce qui peut augmenter la croissance potentielle. C’est la réponse choisie en Europe avec les baisses de charges pour les entreprises qui ont pour but d’améliorer la compétitivité des entreprises (ex CICE du gouvernement français). Cela va de pair avec une volonté de réduire la place de l’état providence et d’améliorer le fonctionnement des marchés. De manière générale il faut adapter l’économie à une croissance future qui sera plus faible. Mais comme vous avez pu le voir, X.Ragot expose un autre point de vue différent du premier.

Une autre explication de la croissance atone est qu’il y a un problème au niveau de la demande. En effet depuis la crise financière de 2008, il y a une chute de la demande (de la consommation) qui entraîne une baisse de l’activité des entreprises et donc une augmentation du chômage. La figure ci-dessous issue d’un document de l'INSEE illustre ce processus pour la France.

consommation

De plus face à la crise les consommateurs ont tendance à augmenter la part de leurs revenus allant vers l’épargne (épargne de précaution) ce qui aggrave la baisse de la consommation. Face à cette chute de la demande, les États peuvent jouer sur les politiques budgétaires et monétaires (cliquez pour accéder aux définitions). Le problème est que les États ont perdu une grande partie de leur marge de manœuvre. En ce qui concerne la politique budgétaire, la théorie économique voudrait que les États investissent et dépensent plus afin de compenser la baisse de consommation. Le problème est qu’à l’heure actuelle la plupart des États ont une dette importante qui les empêche d’augmenter leurs dépenses, notamment en Europe à cause à la règle des 3% de déficit.

En ce qui concerne la politique monétaire, la théorie économique prescrit de baisser les taux d’intérêts afin d'inciter consommateurs à emprunter, ce qui permet de soutenir la demande. Le problème est qu’aujourd’hui les banques centrales dans le monde ont déjà drastiquement réduit leurs taux d’intérêts et que cela n’a pas eu l’effet escompté (ou du moins il est insuffisant). Il n’y a donc plus de marge de manœuvre pour une relance monétaire, car malgré des taux directeurs très faibles, les banques sont frileuses et n’ont pas suffisamment confiance pour prêter. D'où l'idée de la BCE de distribuer directement de l’argent aux européens (Article de presse).

Cette différence de diagnostic trouve ses racines dans les débats entre les deux grands courants économiques, les keynésiens et les classiques (Une illustration des nombreux courants de pensée en économie peut être trouvé ici). Le point central du débat a ses origines dans les justifications microéconomiques de l’intervention des États dans l’économie (c.f vidéo précédente). En effet les keynésiens sont d’avis que les marchés sont intrinsèquement imparfaits alors que les classiques pensent que les marchés ne sont pas imparfaits ou du moins qu’ils le sont à cause d'interventions extérieures. Cette différence, simplifiée, nous amène à la notion de rigidité des prix qui est le point central du débat. En effet, pour les classiques les rigidités des marchés sont suffisamment faibles pour que ces derniers adaptent leurs prix très rapidement. Ce qui rend les politiques budgétaires et monétaires peu utiles. Pour les keynésiens, les rigidités des marchés existent et entraînent une imperfection des marchés qui rend obligatoire l’intervention des pouvoirs publiques.

Pour finir, X.Ragot nous expose les politiques économiques possibles afin de résoudre le problème de croissance. Comme nous l’avons vu, les politiques économiques à implémenter dépendent du diagnostic. Dans le premier (chute de la productivité), une politique structurelle est prescrite, cela consiste à augmenter la croissance potentielle au travers d’une politique de changement de fonctionnement des marchés (augmenter la concurrence, la flexibilité du marché du travail). A l’inverse si le diagnostic est une chute de la demande, un ensemble de politiques budgétaires, fiscales et monétaires doivent être mis en place. Le problème est que si l’on décide de mettre en place des politiques structurelles alors que l’on a besoin de politiques de demande, il va y avoir une augmentation du chômage à court terme à cause de l’augmentation de la productivité (besoin de moins d’employés). Cela met en avant la question du temps. En effet, les politiques structurelles visent le long terme alors que les politiques de demande visent le court terme. Xavier Ragot propose un mélange des deux. De plus, en ce qui concerne les politiques de demande, les politiques monétaires sont inefficaces car les taux directeurs sont déjà très bas. Les États doivent donc se rabattre sur les politiques budgétaires en investissant dans la transition écologique par exemple. Le problème de ces investissements supplémentaires c’est qu’ils vont creuser la dette, déjà élevée, des pays.

Ce dernier point soulève la question des dettes souveraines. Sont-elles trop élevées ? Que signifie avoir un haut niveau de dette ? Existe-t-il un seuil à ne pas dépasser ? Ces questions sont abordées dans l’interview suivante.

MOOC c'est quoi l'éco : Semaine 6 - C La dette : bonne ou mauvaise chose ? (André Grjebine)

André Grjebine, économiste, directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales à Sciences Po, explique ce qu'est la dette publique et examine le problème du surendettement pour un Etat.

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Notions et raisonnements à partir de l'analyse d'André Grjebine

André Grjebine commence par expliquer ce qu'est la dette publique qui est le résultat des déficits publics accumulés. Mais il y a plusieurs définitions de cette dette publique. Il faut distinguer dette publique brute et dette publique nette qui est obtenue en déduisant certains actifs détenus par les administrations. Il faut aussi distinguer les définitions de la comptabilité nationale , de l'OCDE, d'Eurostat et celle de la dette brute au sens du traité de Maastricht. Vous trouverez ces différentes définitions dans la fiche de FIPECO "Les définitions du déficit et de la dette publics".

Il faut préciser que la dette des administrations publiques en France recouvre celle de l’État (76% du total), celle des organismes de sécurité sociale et celle des administrations publiques locales (10% chacune du total). Presque les deux tiers de cette dette sont détenus par des agents non  résidents, le reste est détenu pour environ 20% par les compagnies d'assurance françaises (essentiellement dans le cadre des produits d'assurance vie) et pour 10% par les banques françaises.

En France la dette de l’État est gérée par l'Agence France Trésor (depuis 2001). Les titres de dette de l’État sont émis par adjudication sur le marché primaire (marché où l'on émet les titres nouveaux). Ces titres sont échangeables sur les marchés secondaires (pour prendre une image, on peut dire que ce sont des marchés d'occasion où s'échangent les titres qui sont déjà en circulation).

Ensuite, André Grjebine évoque l'origine de la dette publique en rappelant que la cause immédiate est dans les déficits des administrations publiques. Mais il faut préciser les relations qui existent entre l'endettement des agents privés (ménages et entreprises) et la dette des administrations publiques.

Dans l'économie, il y a des agents à besoin de financement, c'est à dire des agents qui ont un niveau de dépense supérieur à leur revenu, cela peut être le cas d'un jeune ménage qui s'endette pour acheter un bien immobilier, d'une entreprise qui finance un investissement en contractant un crédit, d'un acteur public qui emprunte pour financer un déficit qui résulte d'une dépense supérieure à ses recettes. Dans l'absolu, on a là un mécanisme efficace de financement de l'économie où les agents qui ont une capacité de financement, c'est à dire une épargne qui résulte de ressources supérieures à leurs dépenses décident de placer cette épargne auprès d'une banque ou d'une institution financière. Cette situation est soutenable tant que les crédits ne progressent pas plus vite que les revenus. Hors, si on regarde les ratios de dette/PIB des agents privés, ils ont augmenté dans tous les grands pays des années 1980 jusqu'à la crise de 2007. Par exemple au Royaume-Uni la dette des ménages entre 1980 et 2007 est passée de 30% du PIB à 100%. Si on prend un pays comme l'Espagne où la spéculation dans le domaine de l'immobilier a été importante, on constate que l'endettement des ménages entre 2000 et 2007 est passé de 82% à 140% de leurs revenus disponibles brut. Cette question de la relation entre le surendettement des agents privés, la crise financière de 2007 - 2009 et la montée des dette publique sera présentée dans la partie "Quelques compléments à l'analyse d'André Grjebine".

Enfin, André Grjebine répond à la question : la dette publique de la France est-elle trop élevée ? On constate qu'il n'y a pas une réponse unique à cette question. Il faut d'abord préciser que le gestion de la dette d'un État n'est pas réellement comparable à celle d'un ménage ou d'une entreprise car la durée de vie d'un État est pratiquement infinie et la finalité de l’État n'est pas la recherche du profit, donc il faut déterminer des critères spécifiques pour juger du niveau de la dette d'un État.

-On peut avoir une démarche empirique en comparant les niveaux des dettes publiques des différents pays. La France se situe dans la moyenne des grands pays occidentaux. On pourrait être tenté de dire que la situation n'est pas particulièrement alarmante.

Deuxième solution, on peut s'intéresser à l'évolution de la dette publique française sur plusieurs décennies. Là, on constate que le ratio dette publique sur PIB n'a pas cessé de se dégrader depuis les années 1970 (avec des phases de stabilisation dans les périodes d'expansion, mais sans réelle diminution du ratio). La conclusion serait plus inquiétante, il y aurait un glissement structurel du niveau de la dette publique.

Dette publique (france)

La question est alors : y-a-t-il un critère pour déterminer la soutenabilité de la dette publique ? Sait-on à partir de quel niveau un pays est surendetté ? Il existe plusieurs réponses comme vous pouvez le voir en lisant le document : "La soutenabilité des finances publiques".

Sans en arriver au moment où un pays est explicitement surendetté car incapable de faire face aux échéances de remboursement (situation de restructuration de la dette), il y a une série de problèmes qui émergent quand un pays voit augmenter sa dette publique :

- L’État en empruntant de plus en plus sur les marchés financiers entre en concurrence avec les firmes qui cherchent à lever des fonds pour financer leurs investissements, c'est que l'on appelle l'effet d'éviction sur l'investissement privé qui joue en particulier dans les phases d'expansion économique et qui se traduit par une montée des taux d'intérêts et un ralentissement de la croissance potentielle du fait des investissements privés qui ne seront pas réalisés.

- Lorsque la dette publique gonfle, l’État doit augmenter le niveau des impôts pour financer une charge d'intérêts de plus en plus lourde ou réduire la dépense publique. L'augmentation des impôts réduit les incitations à investir et peut conduire les ménages à augmenter leur épargne pour financer cet alourdissement de charge. On risque d'avoir un cercle vicieux : l’État augmente les impôts, les agents privés réduisent leurs investissements et leur consommation, la croissance économique ralentit, les rentrées fiscales sont moins importantes que prévues, l’État doit continuer à s'endetter, les prêteurs sont moins confiants, ils exigent des taux d'intérêts plus élevés (augmentation de la prime de risque). On peut alors avoir un effet "boule de neige" où la dette publique augmente du fait de la montée des taux d'intérêt et du ralentissement de la croissance économique.

- Un État plus endetté est confronté à une augmentation de la part du service de la dette dans le budget. Il y a donc un risque d'arbitrage en défaveur des dépenses publiques qui ont un effet à long terme, c'est à dire les investissements en infrastructures (plus facile à réduire que les dépenses de fonctionnement qui recouvrent essentiellement les rémunérations des personnels). Un État endetté sera donc incité à sacrifier le long terme pour gérer les contraintes immédiates. Il faut ajouter à cela que l'État endetté est vulnérable aux mouvements des taux d'intérêt qui sont liés aux changements de la politique monétaire qui dépend de la Banque centrale qui est indépendante.

quelques compléments à l'analyse d'André Grjebine

- Lire la synthèse rédigée par Benjamin Carton : Dette et croissance, publiée dans le livre L'économie mondiale en 2014 (CEPII, collection Repères, Editions La Découverte, 2013). L'auteur montre que : "Le lien entre croissance économique et endettement est double : à court  terme, une  augmentation de l’endettement soutient la demande domestique et la croissance. Les  cycles d’endettement et de désendettement sont donc corrélés avec le cycle économique. À plus long terme, un niveau d’endettement trop élevé entrave le potentiel de croissance". Plusieurs points doivent retenir votre attention dans ce texte :

- Les économistes ont sous-estimé les déséquilibres qui sont apparus dans la période qui a été qualifiée de "grande modération", des années 1980 à la crise qui éclate en 2007. C'est une période où les taux d'inflation deviennent très faibles et où les fluctuations économiques sont de moindre amplitude. Mais la croissance économique de cette période a été accompagnée d'une montée de l'endettement des agents économiques privés qui n'était pas soutenable à terme.

- Il y a un débat sur le niveau de dette publique qu'il faudrait ne pas dépasser pour éviter des effets négatifs sur la croissance économique. Les discussions portent sur l'existence d'un lien de causalité entre dette publique et croissance économique et sur l'existence d'un ratio dette publique sur PIB qui serait un seuil à ne pas franchir.

- Les processus de désendettement sont complexes à gérer comme on le voit avec l'exemple de la zone euro.

Quand un pays ne peut plus assurer ce que l'on appelle le service de la dette, la question qui se pose est celle de la restructuration de la dette publique. On pense immédiatement à l'exemple de la Grèce, mais ce n'est pas le seul pays qui a été confronté à cette situation. Christophe Destais analyse les issues possibles à ces situations de quasi faillite des États dans cette lettre du CEPII : "Restructuration des dettes souveraines : comment sortir de l'ornière ?".

MOOC c'est quoi l'éco : Semaine 6 - D Les politiques économiques en France et en Europe.

Robert Boyer, économiste, associé à l'Institut des Amériques, anciennement Directeur à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et Directeur de recherche au CNRS, membre du CEPREMAP, analyse les difficultés pour construire une politique économique en France fondée sur un nouveau compromis social.

Alain Trannoy directeur d'étude à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) s'intéresse à la politique de la concurrence en Europe et au rôle de l’État dans la période de sortie de crise.

Jean Pisani-Ferry, professeur d'économie à Sciences-Po Paris et à l'Hertie School of Governance à Berlin développe les erreurs des politiques publiques ainsi que les politiques à mettre en place dans le futur, tant au niveau français qu'européen. 

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notions et raisonnements à partir de l'analyse de Robert Boyer

Robert Boyer analyse la situation actuelle de l'économie française en mobilisant le cadre intellectuel de la théorie de la régulation. Il insiste sur les difficultés d'adaptation de la France à un nouveau modèle économique fondé sur ce qu'il appelle un nouveau compromis salarial. Pour Robert Boyer, la France est un pays de capitalisme familial (caractéristique des pays d'Europe du sud) avec des rapports de concurrence moins affirmés que dans les pays anglo-saxons, un droit du travail protecteur qui façonne le rapport salarial et une insertion dans l'économie mondiale qui est marquée par une spécialisation peu performante (on serait dans un modèle "industriel dominé", alors que l'Allemagne symboliserait un modèle "industriel dominant").

On assiste à l'échelle mondiale à l'émergence de nouvelles formes de capitalismes avec dans chaque pays des mutations de normes sociales et des transformations idéologiques ainsi que des changements des opinions publiques. On aurait donc une variété de capitalismes qui émergerait dans ce vingt-et-unième siècle avec des tensions qui seraient liées à la difficulté de faire évoluer les institutions économiques, sociales et politiques. Robert Boyer précise que ces institutions évoluent plutôt par sédimentation : "Les exemples abondent dans l'histoire économique. Les institutions créées au titre de l'économie de guerre (Première puis Seconde guerre mondiale), loin de disparaître une fois la paix revenue, ont souvent été reconverties, en remplacement ou en complément d'autres institutions... Dans la France contemporaine, la difficulté de réformes de la relation salariale conduit ainsi le droit du travail à superposer des contrats à durée déterminée avec des contrats à durée indéterminée, ouvrant un processus de sélection capable à terme de transformer les ajustements et les caractéristiques de l'emploi" (p 292-293 "Économie politique des capitalismes"). On aurait donc une juxtaposition de modes de régulation qui seraient un facteur de crise latente.

La solution pour Robert Boyer passe par la mise en place d'un nouveau compromis dit de "sécuriflexibilité à la française" qui ne peut pas être une simple transposition de ce que l'on a appelé le "La flexicurité danoise". Le problème est de créer de nouvelles cohérences entre le droit du travail, la couverture sociale et une politique efficace de l'emploi afin d'organiser les relations entre les entreprises, les salariés et les acteurs publics. Robert Boyer , insiste sur l'absence de compromis social en France, d'où l'idée de commencer par renforcer la sécurité avant d'introduire de la flexibilité, ce qui explique la priorité à donner à la sécurisation des parcours professionnels.

Robert Boyer insiste sur l'échec des politiques d'austérité (contraction des dépenses publiques et pression à la baisse sur les salaires) en rappelant leur inefficacité quand on veut l'appliquer dans tous les pays en même temps. Derrière ce raisonnement il y a un concept économique important, celui de multiplicateur comme cela est expliqué dans cette vidéo : "Austérité ou relance comment ça marche ?".

L'analyse de Robert Boyer trouve son illustration immédiate dans l'actualité sociale en France avec la loi travail de Myriam El Khomri. Les interrogations que suscitent ce projet sont bien illustrées par le billet de Clément Bouillet sur BSI economics : "Loi travail, flexibiliser, une fausse bonne idée ?".

notions et raisonnements à partir de l'analyse d'Alain Trannoy

On vient de voir avec Robert Boyer une analyse qui se réfère à une école de pensée en théorie économique, l'école de la régulation. Ce concept est aussi utilisé dans l'analyse économique avec une autre signification : la régulation comme "règles du jeu" dans une économie de marché. La réponse d'Alain Trannoy à la question "quelle politique de la concurrence en Europe ?" s'inscrit dans cette seconde signification donnée au terme régulation.

La politique de la concurrence a pour fonction de répondre à plusieurs défaillances de marché. La première relève de l'abus de position dominante quand sur un marché un acteur est en position de monopole ou que quelques entreprises s'entendent pour prendre le contrôle du marché. La seconde résulte des asymétries d'informations qui font que le producteur en sait généralement plus sur la qualité de son produit ou de son service que le consommateur. Ces problèmes nous rappellent que les marchés on besoin de l'acteur public pour fonctionner correctement, mais :

- L'acteur public peut agir directement ou déléguer sa mission à une autorité indépendante. En France, c'est l´Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, qui surveille le fonctionnement de la concurrence sur les marchés. Cette Autorité, créée en 2009, remplace le Conseil de la concurrence. On voit avec l'exemple de cette institution que la question ne se limite pas au rapport entre l’État et le marché. Il y a aussi un choix à faire au niveau de l'acteur à qui l'on confie une mission de service public : on peut donner cette responsabilité à une administration ou préférer déléguer à un régulateur indépendant.

- Il faut voir aussi que les États se livrent  à une concurrence pour attirer et retenir les activités économiques. La politique de la concurrence peut donc être un moyen de protéger ses "champions nationaux" ou un élément de la stratégie pour renforcer l'attractivité nationale.

- Enfin, les politiques de la concurrence ont une histoire qui s'inscrit dans des logiques nationales comme l'expliquent David Encaoua et Roger Guesnerie dans le résumé du rapport du CAE : "Politiques de la concurrence"

Robert Boyer et Alain  Trannoy ont éclairé deux dimensions structurelles des politiques économiques dans les analyses que nous venons de présenter : d'un côté la nécessité de construire un compromis social où l'on trouve l'équilibre entre le risque qui accompagne l'innovation et la sécurité nécessaire à la vie professionnelle des travailleurs ; de l'autre, l'organisation à la fois efficace et juste du système économique qui repose sur une bonne articulation entre la logique des marchés et l'action de l’État. Ces dimensions structurelles concernent les fonctions d'allocation et de distribution de l’État comme nous l'avons vu dans la première vidéo de cette semaine (typologie de Richard Musgrave).

Pour finir, Alain Trannoy répond a une dernière question qui relève de la dimension conjoncturelle des politiques économiques : "quel doit être le rôle de l’État face à la crise de 2008 ?". Cette dimension correspond à la troisième fonction de l’État dans la typologie de Musgrave, la fonction de stabilisation. L'objectif est de lisser le cycle économique grâce à des politiques de relance de la demande quand on entre dans une récession (déficit budgétaire et politique monétaire accommodante) et de revenir à des politiques d'ajustement quand on est dans la phase d'expansion. Cette politique fondée sur la demande (logique keynésienne) est celle qui a été appliquée dans les pays occidentaux quand la crise financière de 2007-2008 a entraîné un brutal ralentissement de l'activité économique. Ces pays ont mis en place dès l'automne 2008 des plans de soutien de la demande qui ont entraîné un creusement des déficits publics. On a assisté à un débat entre les économistes qui critiquaient cette montée de l'endettement publique et qui prônaient une consolidation budgétaire en ayant recours à des politiques d'austérité (Robert Barro, James Buchanan, Edward Prescott...) et de l'autre côté, les économistes, dans une logique keynésienne (Joseph Stiglitz, Paul Krugman, Christina Romer...) qui affirmaient que l'on ne pouvait pas sortir de la dépression économique en instaurant des politiques d'austérité.

Trois enseignements s'imposent à partir de l'expérience des huit dernières années :

- On peut mener des politiques non conventionnelles en affectant des objectifs aux politiques économiques qui ne correspondent pas au schéma classique. Traditionnellement la politique monétaire était affectée à l'objectif de stabilité des prix, tandis que la politique budgétaire se consacrait à la stabilisation conjoncturelle, c'est à dire le lissage de l'activité économique. Or, l'expérience récente montre que l'on peut inverser les objectifs attribués : les politiques monétaires non conventionnelles ont eu pour objectif de relancer l'activité économique, tandis que les politiques budgétaires pouvaient aussi être utilisées de manière non conventionnelles en favorisant l'absorption de la liquidité créée par les Banques centrales et en impulsant une dynamique inflationniste nécessaire pour favoriser la baisse des taux d'intérêt réels (il ne suffit pas d'avoir des taux nominaux faibles pour relancer la demande de crédit, il faut un peu d'inflation pour engendrer une baisse des taux réels).

- Le débat s'est déplacé d'une opposition entre ceux qui veulent relancer la demande (keynésiens) et ceux qui voudraient stimuler l'offre (libéraux - néoclassiques) vers une discussion sur le rythme et l'ampleur des politiques de consolidation budgétaire. Il y a en effet, un relatif consensus entre les économistes pour dire qu'il faut agir à la fois sur la demande et sur l'offre et que les pays occidentaux ont atteint des niveaux d'endettement public qui leur laissent peu de marge budgétaire. Il y a deux problèmes importants : celui du rythme optimal de consolidation et celui de la composition de l'ajustement (sur quelles dépenses faire porter en priorité les économies à réaliser ?). Il s'agit donc de minimiser l'impact négatif sur l'activité économique des mesures de consolidation (par exemple en jouant sur les dispositifs qui ont des multiplicateurs faibles, c'est à dire des réductions de dépense publique qui ont un effet limité sur la consommation et l'investissement dans le pays concerné). A l'évidence les ajustements budgétaires dans la zone euro ont été trop rapides alors que les politiques monétaires non conventionnelles restaient très timides (par rapport à celles menées aux États-Unis). Le résultat est que la reprise économique aux États-Unis a été plus rapide et de plus grande ampleur.

- Enfin, les dix-neuf pays de la zone euro ont été confrontés à un problème spécifique de coordination. Comme le rappelle ce communiqué du CAE : "Le choix de faire l’euro sans union budgétaire a été remis en cause par la crise". Avec l'essor rapide des flux commerciaux et financiers à l'échelle mondiale, les économies sont devenues de plus en plus interdépendantes. Cela signifie qu'une relance ou une austérité budgétaire  simultanée entre des économies intégrées produit des effets expansifs ou récessifs qui se transmettent d'une économie à l'autre via ces flux commerciaux et financiers. La zone euro en est une illustration caractéristique. Les économies de la zone se sont lancées dans une stratégie de consolidation budgétaire simultanée à partir de 2010 qui a généré une contraction de la demande adressée à chaque économie supérieure à ce que chaque pays avait envisagé (l'impact récessif des plans de réduction des déficits avait été fortement sous-estimé). Plusieurs enseignements sont à tirer de cette expérience : la zone euro a besoin de mettre en place des mécanismes de coordination budgétaire, en particulier pour gérer les périodes exceptionnelles (on ne peut se contenter de règles rigides). On peut toutefois se demander si une réelle stabilisation budgétaire est possible dans la zone euro sans un budget fédéral significatif.

MOOC c'est quoi l'éco : Semaine 6 - D Les politiques économiques en France et en Europe. (suite)

Jean Pisani-Ferry, professeur d'économie à Sciences-Po Paris et à l'Hertie School of Governance à Berlin développe les erreurs des politiques publiques ainsi que les politiques à mettre en place dans le futur, tant au niveau français qu'européen.

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Notions et raisonnements à partir de l'analyse de Jean Pisani Ferry

Dans cette vidéo, Jean Pisani-Ferry aborde des concepts importants qui influencent la mise en place des politiques économiques. Son cadre de réflexion se réfère, notamment, à ce que l'on appel l'économie politique, qui est l'étude de la décision des politiques. Cette discipline de recherche, fait appel aux connaissances des économistes mais aussi des politologues.

Pour revenir aux dires de Jean Pisani-Ferry, lorsque les politiques décident de mettre en place une politique économique, les politiques ne sont pas de purs technocrates. Ils sont largement influencés par des facteurs non-économiques comme les relations avec l'opinion publique, le parlement ou l'administration (notamment les fonctionnaires du ministère de l'économie, en France). 

Parmi les facteurs influençant la décision politique en ce qui concerne l'économie, la confiance des citoyens est primordiale. Comme le souligne Jean Pisani-Ferry, cette confiance est basse en ce moment en France. Le manque de résultats des politiques provoquent une forte baisse de la confiance des français envers les institutions publiques contrairement à d'autres pays. Ce manque de résultats est illustré par la figure ci-dessous montrant la stagnation du Revenu national part habitants (RNB) en France mais aussi par une note de la banque de France montrant la stagnation séculaire du niveau de vie en France.

Pour illustrer cet état de fait, un centre de recherche de science-po Paris publie des notes sur la confiance des français envers les politiques que nous vous invitons à lire.

MOOC c'est quoi l'éco : Semaine 6 - E Pour aller plus loin

Les deux temps de la partie "Pour aller plus loin"

Nous vous proposons :

1 -De continuer les interviews avec les économistes Francis Kramarz (directeur du Centre de Recherche en Économie et Statistique), Alain Trannoy (directeur de l’École d'économie d'Aix-Marseille) et Pisani-Ferry (commissaire général de France Stratégie).

2 - Quelques conseils de lecture si vous souhaitez approfondir votre réflexion.

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Document et propositions de lecture

- Voici un document rédigé par Olivier Blanchard qui était chef économiste du FMI jusqu'en 2015 : "Les dangers qui nous guettent" dans lequel il analyse les défis que la politique macroéconomique doit surmonter à partir de l'expérience de la crise de 2007-2008.

- Quelques conseils de lecture :

- Lire la partie : "Les grands défis macroéconomiques" dans le livre de Jean Tirole : Économie du bien commun

- Une analyse critique du fonctionnement des marchés qui conduit à prôner des politiques de régulation plus efficaces : c'est la thèse de George Akerlof et Robert James Shiller dans leur ouvrage : Marchés de dupes - L’économie du mensonge et de la manipulation

- Le brexit vu sous l'angle de la théorie des jeux : Notes de la banque de France

- Enfin, nous vous conseillons de regarder cette conférence des JECO qui ouvre le débat sur la relation Etats-Compétitivité.

"La salle du prof"

Les vidéos servant de support à ces séquences pédagogique sont accessibles sur le site SES-ENS (site expert DGESCO / ENS de Lyon proposant des ressources pour la formation et l'information des enseignants de SES) : Ressources du MOOC "C'est quoi l'éco ?"