Moraliser le capitalisme ou capitaliser sur la morale?

Fini le temps où le capitalisme prospérait impunément. Désormais, il doit prendre soin de ceux qu'il a laissés sur le bord de la route. De la morale! Oui, mais souvent au service du capitalisme. Économistes et philosophes dénichent les pièges de la bonne conscience.

"Moral". Un label, comme "bio" ou "vert". Dans les entreprises, les associations ou les politiques publiques on en fait un argument de communication. Mais loin d'entamer le capitalisme, il redore son blason.

Charity is business

La philanthropie serait une exception à la logique égoïste du capitalisme. La preuve qu'il est compatible avec la morale. Pas si sûr. Jean-François Draperi, directeur du Centre d'économie sociale Travail et Société, en veut pour preuve les fondations de venture philanthropy ou philanthrocapitalisme. Des fondations à forte capitalisation, dont l'objectif est de lutter contre la pauvreté et l'exclusion. Créées par des fortunes boursières des années 80, elles consacrent le triomphe du capitalisme. Bien sûr, elles donnent de l'argent aux bénéficiaires mais au prix d'un accompagnement dans leur gestion. Bref, "elles reproduisent un fonctionnement capitaliste dont elles sont pourtant le pansement" , explique le philosophe. Pire, les bénéficiaires de ces fondations mangent dans la main de leurs bourreaux. "Le problème est que leur essor est directement lié à celui d'inégalités produites par la financiarisation de l'économie", poursuit Alain Leroux. Péché mignon du capitaliste, la philanthropie n'a pas disparu avec l'avènement d'un Etat moderne aux Etats-Unis. "Il aurait pu priver les plus riches du plaisir de la générosité...", ironise-t-il.

Le RSA et le pauvre méritant

Au fait, parle-t-on de morale ou d'éthique? Pour Alain Leroux, professeur d'économie à l'Université Paul Cézanne à Aix-en-Provence, ce n'est pas jouer sur les mots que de faire la distinction. "Prenons le RSA. On me dit que ça va rendre sa dignité au travailleur et qu'on va réduire l'effet pervers des trappes à pauvreté. Cela correspond à mon principe de vie individuel, ma morale : aider les pauvres. J'adhère.", expose l'économiste. Seulement, la transposition de la morale à la sphère publique est trompeuse. "A quel moment je tiens compte de la nature sociale du chômage? Jamais", explique Alain Leroux. Derrière le RSA, il faut chercher une éthique, des valeurs associées à la communauté. "C'est clairement celles du néo-libéralisme. En particulier, la théorie de Friedrich Hayek. L'idée est simple : pas d'efforts du pauvre, pas d'aide de l'Etat", résume-t-il. L'adhésion spontanée de la morale au RSA se heurte à son éthique cachée, celle qu'Hayek définit dans a Note sur les parasites : "Toutes les existences humaines n'ont pas un droit moral à la préservation". "Il y a les pauvres méritants, ceux qui travaillent, et les autres, conclut l'économiste. Voilà l'éthique du RSA".

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