L’entre-deux guerres, les Vingt non Glorieuses

La Première Guerre mondiale, en plus d’un lourd tribut humain (plus de 18 millions de morts), a eu un impact important sur les mentalités et les économies européennes. Les femmes ont investi le marché du travail, l’étalon or disparaît, et la révolution russe freine les échanges. L’Europe passe d’une puissance leader d’avant-guerre à une position de débitrice dans le monde.

Pierre-Cyrille Hautcoeur, directeur à l’EHESS, Kevin O’Rourke, professeur d’histoire économique au All Souls College à Oxford, et Paul Seabright, professeur de sciences économiques à l’université de Toulouse étaient réunis pour parler des conséquences économiques de la Première Guerre mondiale.

Pour comprendre pourquoi, contrairement à la Seconde Guerre mondiale, la "Der des Der" n’a pas été suivie par une période de croissance, Kevin O’Rourke donne un exemple simple. Certains secteurs, comme l’agriculture, sont sous pression après la Grande Guerre, et nécessitent des mesures de protection. En effet, pendant la guerre, le nombre de fermiers en Europe baisse, et moins de denrées sont produites. Donc l’importation augmente, et les « pays nouveaux » multiplient leur offre. Mais les pays d’Europe, après la guerre, vont revenir à l’agriculture. Se pose alors le problème des excédents de production et, face aux prix qui baissent, les gouvernements européens sont obligés de mettre en place des mesures de protection des agriculteurs. Dans de nombreux domaines, il devient alors difficile de revenir au libre échange qui a caractérisé 1913. D’autant plus que la Russie, avec sa nouvelle politique post révolution, devient « allergique à la mondialisation », avec un fort impact sur l’économie européenne, qui perd, à ce moment-là, son statut de leader mondial. Autre différence majeure des deux périodes d'après-guerre : comme le souligne Paul Seabright, en 1945, les attentes des acteurs des secteurs privés ont évolué. Les investisseurs se tournent vers l’avenir et voient l’Europe comme un lieu d’investissement. Beaucoup d’innovations protégées pendant la guerre, dans le secteur pharmaceutique par exemple, se renforcent et bénéficient d’un taux d’investissement élevé. Ces changements favorisent la production et les économies de marché.

Pour Kevin O’Rourke, c’est surtout l’incohérence après 1918 qui fait la différence. Le système monétaire alors en place n’est pas compatible avec la démocratie. Il y a une instabilité politique entre alliés et dans les relations vainqueurs-vaincus, contrairement à 1945, où les marchés et les gouvernements agissent ensemble, dans un environnement géopolitique stable.

Après 1918, on ne parlait déjà que de revanche en Europe. Après 1945, le monde n'aspirait qu'à la paix. Ou comment passer des Vingt non Glorieuses aux Trente Glorieuses...

Photo: les "munitionettes" dans une usine d'obus en 1914 (DR)

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