Renforcer l’industrie en France, malgré les vents contraires

Par Vincent Charlet (Délégué général, Fabrique de l'industrie) qui interviendra sur la conférence des Jéco 2022 : Maîtriser nos chaînes d'approvisionnement

Les pénuries qui menacent régulièrement la France viennent rappeler avec force combien le pays souffre d’un déficit d’entreprises industrielles. Pour relever les défis écologiques et sociaux qui nous font face, il faudra d’abord renforcer notre base manufacturière, en mobilisant toutes les parties prenantes.

C’est une spécificité française : la place, déjà prépondérante, des grandes entreprises dans notre tissu productif n’a fait que s’accroître ces dernières années. Vu des tableaux de la comptabilité nationale, c’est parfait : les revenus des investissements étrangers de nos multinationales compensent à peu près nos besoins d’importation. Notre solde commercial fait grise mine mais la balance courante est proche de l’équilibre.

Le problème, c’est que cette vision comptable des choses ne suffit pas. La France souffre d’un déficit d’entreprises industrielles, petites, moyennes ou de taille intermédiaire, et cette carence lui fait mal. Notre économie manque en effet de résilience dans les crises : nous ne savons pas maintenir une filière de production d’électricité au niveau suffisant, nous ne savons pas produire de paracétamol quand la demande s’accroît subitement, nos usines automobiles sont à l’arrêt quand les semi-conducteurs asiatiques se font attendre, etc. Par ailleurs, l’industrie reste un creuset, un lieu de brassage, d’ascension sociale et professionnelle, un lieu de formation et de construction de soi, un acteur économique présent dans les territoires ruraux et qui en assure la robustesse. C’est ce qui explique, au Royaume-Uni comme aux États-Unis, que les régions brutalement désindustrialisées sont aussi celles dont les électeurs font tanguer les démocraties ou détricotent la construction européenne.

40 ans de désindustrialisation

Or, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis d’ailleurs, la France est aujourd’hui parmi les pays les moins industrialisés au monde. À cela plusieurs raisons. La première, c’est qu’elle l’a toujours été. Même lors du premier choc pétrolier au début des années 1970, qui marque le commencement du déclin relatif de l’industrie dans tout l’Occident, la France était déjà en queue de peloton de l’OCDE. Depuis, sur longue période, elle a décliné à peu près au même rythme que les autres. Le progrès technique a été un facteur déterminant dans ce mouvement. D’une part, les entreprises industrielles ont toujours réalisé des gains de productivité plus élevés que les autres. D’autre part, et plus récemment, elles ont eu tendance à valoriser plus fortement leurs prestations de services. En face, les consommateurs ont eux aussi changé leurs habitudes : plus les gens s’enrichissent et plus les services occupent une large part de la consommation. Cette double déformation de la production et de la consommation a compté pour 90 % du phénomène de désindustrialisation. La perte de compétitivité française, qui a évidemment aggravé la situation, est tout même une cause plus marginale.

La deuxième raison, c’est que l’Europe a été depuis 1990 le théâtre d’un grand basculement de l’Ouest vers l’Est, l’Allemagne en pleine réunification servant de pivot, au détriment des pays périphériques et notamment méditerranéens. Tout ceci dépassait, on le voit, le rayon d’action des politiques nationales.

La troisième raison, c’est que, pendant toutes les années 1990 puis 2000, les États partenaires européens étaient engagés dans la course vers « l’économie de la connaissance ». Ils avaient admis comme une fatalité que la production manufacturière s’exilerait vers d’autres pays, et cherchaient une planche de salut dans les activités à haute intensité technologique… en oubliant que l’industrie est précisément le lieu où elles s’incarnent et prennent vie.

Appel à la mobilisation générale

Désormais, tout le monde a compris qu’il fallait battre le rappel, convaincre producteurs et consommateurs de la nécessité de faire revenir en France une capacité productive. Les politiques nationales jouent un rôle essentiel, plutôt sur les mesures horizontales, c’est-à-dire sur la qualité de l’environnement d’affaires. En effet, quelle que soit la variable étudiée (compétences et formations, solde commercial, investissement, etc.), tous les diagnostics convergent sur le fait que la faiblesse industrielle de la France s’observe partout et n’est pas une question sectorielle.

En écho aux politiques nationales, les politiques locales jouent également un rôle important. En témoigne la carte des territoires industriels, qui n’a aucun sens au premier abord : on n’y détecte aucune causalité évidente. Les facteurs de succès d’une industrie dynamique sur un territoire donné échappent à la modélisation et sont à chercher au contraire dans les comportements locaux, les réseaux d’acteurs et clubs d’investisseurs qui établissent des stratégies partagées et conviennent d’horizons communs.

Les activités manufacturières, celles que l’on assimilait par essence à l’industrie au début du siècle, ne renoueront pas soudainement avec une ascension fulgurante. Mais une chose est sûre : le renforcement de notre base industrielle, des territoires qui l’accueillent et l’amélioration conséquente de notre solde commercial sont à portée de main, si toutes les parties prenantes tirent dans le même sens.

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