Pour beaucoup, c’est une évidence, la réintroduction du franc permettrait de dévaluer la monnaie française et donc de stimuler l’économie par une meilleure compétitivité et des gains de parts de marchés. On omet généralement de préciser par rapport à quelles monnaies le franc perdrait ainsi de sa valeur. Par rapport au Deutschemark, c’est probable ; par rapport au dollar ou à la livre Sterling, c’est moins évident. Mais que dire du taux de change du franc par rapport à la lire italienne et à la peseta espagnole ? L’Italie et l’Espagne ensemble représentent pour nous un marché plus important que l’Allemagne. Nos agriculteurs du Roussillon, déjà mis en difficulté par la baisse des salaires espagnols, risquent de ne pas tellement apprécier cette nouvelle concurrence monétaire ; pas plus que les artisans du Sud-Est, qui se verront concurrencés par des PME italiennes. Même si le franc baisse tous azimuts, il y aura des gagnants (les entreprises exportatrices) et des perdants (les entreprises importatrices et les ménages). Avec son déficit extérieur persistant, la France a certes besoin d’accroître sa compétitivité. Mais ne vaut-il pas mieux miser sur la productivité que sur un appauvrissement des travailleurs ?
Or, c’est là que le bât blesse : la réintroduction du franc ne fera rien pour notre productivité. Est-ce la faute de l’euro si la France régresse dans les classements PISA, qui mesurent la performance des collégiens ? Si la formation professionnelle dysfonctionne ? Si la majorité des PME n’ont pas encore pris le virage numérique ? Si la robotisation de l’industrie est en retard ? Si les administrations publiques ont privilégié ces dernières années les dépenses courantes au détriment de l’investissement ?
On objectera qu’avec une monnaie indépendante, la Banque de France pourra désormais financer ad libitum toutes sortes d’investissements publics en infrastructures, transition écologique ou éducation. Finie l’austérité budgétaire, place à la planche à billets. Il faudra pour cela non seulement revenir au franc, mais aussi abroger la loi du 4 août 1993 qui a rendu la Banque de France indépendante du pouvoir politique. Pourquoi pas, mais assez vite le franc nouveau n’inspirera plus grande confiance auprès des prêteurs étrangers et même français. Ce n’est peut-être pas grave pour l’Etat qui, on l’a dit, pourra actionner la planche à billets. Les entreprises privées, elles, devront se financer au prix fort, éventuellement en monnaie étrangère, tout en remboursant leurs dettes anciennes avec une monnaie dévaluée. Devinez l’effet sur l’investissement et l’emploi. Le fond de l’affaire, c’est que les faiblesses de l’économie française se trouvent davantage du côté de l’offre que de la demande – il n’y a qu’à regarder les pertes continues de parts de marché et le déficit commercial. Réduire les pertes de parts de marché à un problème monétaire, c’est à la fois manquer d’imagination et ne pas voir que la France n’a rien à gagner à une guerre des monnaies à l’intérieur de l’Europe.
Certains envisagent une coordination monétaire sous la forme de taux de change fixes mais ajustables. Mais la crise du système monétaire européen au début des années 1990 a montré à quel point ce type de régime est vulnérable à la spéculation. La véritable alternative à l’euro, c’est le flottement des monnaies. Le flottement a des avantages – l’expérience récente du Royaume-Uni le prouve. Cependant il produit de violentes variations de prix relatifs, parfois difficiles à absorber pour les entreprises. De fait, la France a historiquement montré une préférence pour la stabilité monétaire. Ce serait donc un virage à 180 degrés.
Retrouvez Agnès Bénassy-Quéré lors des Jéco 2016 sur Réinventer l'action publique (Les voix de l'économie), IDIES Enseignement économique à l'Université : quelles suites après le rapport Hautcoeur? et Entretiens de l’AFSE : Regards croisés sur l'avenir de la zone euro