Le débat sur l’impôt dans une démocratie est d’ordinaire l’apanage du parlement. La phrase de Jefferson, no taxation without representation, n’a pas pris une ride depuis 250 ans car la justice fiscale ne peut être que procédurale. Seule une procédure reconnue comme juste peut conférer au système fiscal son acceptabilité. Chaque citoyen a sa conception de la justice fiscale et elles ne concordent pas en général. On n’a rien trouvé de mieux pour établir un compromis raisonnable porteur de paix civile que celle d’organiser un vote sur la base one person, one vote. Un système fiscal ne peut être jugé juste d’une manière ontologique. Seul l’onction du suffrage le rend juste.
Que l’exécutif assume un rôle trop important dans ce domaine ne peut qu’entraîner des difficultés, car il gomme dans l’esprit des contribuables l’idée que la justice fiscale est par nature la recherche du compromis entre des forces sociales et économiques aux intérêts opposés. En effet l’exécutif est par nature l’émanation de forces politiques, économiques et sociales ne représentant qu’une partie du corps électoral. Les parties non représentées ont alors tendance à délégitimer les propositions provenant de l’exécutif.
Comme les questions fiscales sont plus des questions de degré que de nature, elles se prêtent mal au referendum. Seul le vote par une majorité parlementaire représentative de la répartition de la charge fiscale entre tous les citoyens peut lui conférer l’équité comme vertu. Un système fiscal est juste dans une société démocratique, s’il est voté par un parlement représentatif. Il est juste parce que majoritaire.
A cette aune, est ce que le système fiscal français est juste ? Force est de constater que non. Le parlement n’est pas représentatif ni des forces politiques de ce pays, ni en termes de CSP. 80 % des députés sont des cadres, alors que ceux-ci ne sont que 20 % de la force de travail. Ce phénomène s’est aggravé à la faveur du dernier renouvellement de l’assemblée nationale. La question de la justice fiscale renvoie donc à celle de la réforme de nos institutions politiques, plus précisément à celle du parlement et en premier lieu au mode de désignation des députés et statut de l’élu.
Une autre difficulté provient de la complexité du sujet qui n’a fait que croître et embellir au fil des années. Au vote de la loi de finances s’est ajouté celui de la loi de financement de la sécurité sociale, où l’impôt finance de plus en plus cette dernière, cependant que les cotisations sociales sont devenues plus progressives. L’intrusion massive de l’État dans le financement des collectivités locales avec des exemptions et dégrèvements de toutes sortes, rend le système global peu lisible et pas seulement pour le profane.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le mouvement des gilets jaunes est parti du sentiment d’injustice provoqué par l’alourdissement d’impôts indirects connus pour être régressifs. Le relèvement de la taxe carbone, pour l’instant différé mais cependant nécessaire au vu des enjeux posés par le défi climatique, doit être nécessairement compensé par une plus grande progressivité de notre système fiscal. Quelques idées simples en ce domaine, un reprofilage de la TVA avec une réduction des taux réduits sur les biens de première nécessité et l’instauration de taux de TVA sur des biens de luxe à 25 %, ensuite la transformation de toutes les niches de l’impôt sur le revenu en aides directes. Les idées les plus simples ne sont pas forcément les pires en ce domaine, car compréhensibles par tous.
Retrouvez Alain Trannoy lors des conférences : "Vit-on mieux en ville ou à la campagne ?" et "La fiscalité française est-elle injuste ?"