Par Jean Pisani-Ferry qui intervient sur les conférences : La mondialisation fragile : quelles leçons de la pandémie ? et Souveraineté industrielle européenne à quel prix ?
Le système de relations économiques internationales n’aurait sans doute pas survécu à un second mandat de Donald Trump. Une administration plus ouverte à la coopération permet a contrario d’envisager des initiatives qui n’auraient jamais pu voir le jour avec lui. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : le doute qui a saisi l’Amérique est profond. Ses dirigeants – toutes tendances politiques confondues – sont obsédés de la rivalité avec la Chine. Les citoyens, quant à eux, ne croient plus que leur pays puisse assumer de fortes responsabilités extérieures. Dans ces conditions, il importe d’être au clair sur les objectifs à poursuivre.
La première priorité est d’orienter le système international vers les biens communs.
La préservation du climat ou de la biodiversité n’était bien naturellement pas identifiée comme un enjeu d’importance lors de la conception de l’architecture économique de l’après-1945. Cela doit changer.
En l’absence d’un improbable consensus global, l’action climatique va devoir s’appuyer sur une coalition dont les membres convergent vers des objectifs concrets et sur des mécanismes d’ajustement applicables aux échanges avec les pays tiers. Il faudra s’accorder sur les mesures commerciales jugées acceptables et celles qui relèvent au contraire d’un protectionnisme déguisé : La barre est haute. L’Europe est ici sur la ligne de front. C’est une responsabilité majeure.
La deuxième priorité est de rendre le système économique global aussi résilient que possible face aux rivalités.
L’affrontement entre la Chine et les États-Unis va continuer de dominer les relations internationales. La question, dès lors, est de savoir comment à la fois reconnaître la réalité des tensions géopolitiques et contenir leur interférence dans les relations économiques globales. Aussi longtemps que les États s’abstiendront de mener une véritable guerre, un régime multilatéral fort pourra les aider à réprimer leurs tentations de la mener par d’autres moyens.
L’Europe risque de subir les dommages collatéraux de la lutte entre les deux géants. L’un comme l’autre se sont déjà livrés à des manoeuvres d’intimidation à son endroit. Mais l’UE n’est pas impuissante. Elle doit et peut défendre un ordre international fondé sur des règles et mener la lutte contre la militarisation des relations économiques internationales.
La troisième priorité est un système économique mondial plus protecteur des travailleurs et des citoyens.
Les doutes quant à la mondialisation n’ont fait qu’augmenter avec la montée des inégalités et la crise sanitaire. La réponse doit d’abord relever des politiques internes : de l’éducation et la formation à la revitalisation des territoires et à la redistribution, les gouvernements peuvent faire beaucoup, mais ont négligé de le faire pendant l’âge d’or de la mondialisation libérale.
L’expérience a montré, cependant, que peu de gouvernements nationaux élaborent une réponse complète s’ils ne sont pas appuyés par l’environnement global. Réduire l’évasion fiscale des multinationales et la concurrence réglementaire agressive ne sont pas des tâches que les nations peuvent accomplir seules. Chacun des trois objectifs (prendre soin des biens communs mondiaux, contenir la militarisation des relations économiques et rendre le système plus protecteur) est un défi. S’attaquer simultanément aux trois a tout d’une mission impossible. Les années à venir vont mettre à rude épreuve les capacités de leadership de nos dirigeants.