Par Gilbert Cette
Le télétravail peut associer un meilleur bien-être du travailleur et une meilleure performance productive de l’entreprise. Mais ces gains mutuels ne sont pas automatiques, et ils demandent des adaptations appropriées pour être optimisés. Le dialogue social doit jouer un rôle central dans la définition et la mise en oeuvre de ces adaptations.
Parce qu’il facilite la poursuite de l’activité en réduisant les risques sanitaires, le télétravail a connu un développement massif durant les périodes de confinement de la crise COVID. Les enquêtes réalisées dans ce contexte indiquent une forte appétence pour un recours important au télétravail après la crise, tant des travailleurs que des entreprises. Pour les travailleurs, le télétravail facilite une meilleure conciliation entre vies personnelle et professionnelle. Il permet de réduire le nombre des déplacements domicile travail et facilite ainsi l’accès à des domiciliations plus éloignées de l’entreprise, qui peuvent être moins onéreuses que d’autres plus proches. Pour les entreprises, il peut être associé à des gains de performances liés à une meilleure productivité de travailleurs plus satisfaits et à des économies de locaux.
La littérature disponible sur le sujet indique cependant que les gains associés au télétravail ne sont pas automatiques. Tout d’abord, de nombreux postes ne sont naturellement pas éligibles au télétravail, même si cette frontière d’éligibilité peut bouger dans certains cas. Ensuite, pour les postes éligibles, le recours optimal au télétravail n’est généralement pas de 100 % : les interactions entre les travailleurs sont souvent indispensables à la performance qui est ainsi plus élevée avec un, deux ou trois jours de télétravail par semaine plutôt que cinq. Ce seuil optimal dépend de multiples facteurs comme la nature de l’activité mais aussi la séniorité et les attentes des travailleurs.
Mais le télétravail appelle aussi d’autres changements sans lesquels il peut même dans certains cas aboutir à des pertes de performances. L’un des principaux est celui des méthodes de management qui ne sont pas les mêmes en télétravail qu’avec une présence des travailleurs dans l’entreprise. La charge de travail du travailleur et sa définition y prennent une place plus forte dans la mesure du temps de travail qui se résume moins à un temps de présence. Et l’expression du droit au repos du travailleur y prend des formes nouvelles comme celui du droit à la déconnexion qui demande à être décliné de façon précise. D’autres aspects doivent aussi être précisés, comme par exemple les conditions de l’indemnisation du travailleur qui utilise son domicile personnel à des fins professionnelles. Le dialogue social et la négociation collective ont un rôle central à jouer dans ces évolutions, afin d’y trouver les points d’équilibre conciliant au mieux la satisfaction des travailleurs et la recherche de performance et de sécurité de l’entreprise. À l’avenir, d’autres changements seront utiles, comme par exemple celui de la définition même du temps de travail effectif, qui apparait désuète dans le contexte du télétravail : le temps durant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Le télétravail est une opportunité qui participe, avec de nombreux autres changements, de la révo lut i on numérique en cours. Il peut contribuer à une accélération de la productivité dont les économies avancées ont le plus grand besoin pour faire sereinement face aux grands défis qui sont devant elles : le financement de la transition climatique, du vieillissement de la population, du désendettement public et des gains de pouvoir d’achat attendus. Mais encore faut-il l’organiser avec attention, en y laissant jouer un rôle central à la négociation collective, afin d’en optimiser le bénéfice mutuel pour les travailleurs et les entreprises.