Par Michel Fouquin, Conseiller au CEPII, qui intervient sur les conférences des Jéco 2023 : Dettes publiques : les leçons de l’histoire (conférence dédiée à Daniel Cohen) et Agir sur l’urgence alimentaire en Afrique.
Pour faire face à un monde en crise, l'État est le seul capable de mobiliser les ressources exceptionnelles nécessaires dont il ne dispose pas au moment où les crises éclatent. A cette fin il s’endette tout en garantissant la soutenabilité de la charge de ces dettes à long terme.
A l’origine ce sont les cité-États italiennes, Venise et Gènes, qui, pour défendre et étendre par les armes leurs monopôles commerciaux en méditerranée, inventent au XIIe siècle les dettes publiques perpétuelles. Ce sont d’abord des emprunts forcés imposés aux riches marchands, emprunts dits perpétuels car ils ne sont pas remboursables mais donnent lieu au versement de rentes elles-mêmes perpétuelles.
Ces dettes sont à l’origine d’une véritable révolution financière en Europe, au XIVe siècle elles deviennent négociables, c’est-à-dire qu’elles peuvent s’échanger sur un marché secondaire. La dette publique devient ainsi le premier instrument financier de marché.
Mais l’accumulation de dettes, du fait de guerres récurrentes, provoque l’apparition de défauts de paiement et des dévaluations des monnaies. Pour l’éviter la Hollande au XVIIe siècle, l’Angleterre au XVIIIe siècle puis la France au XIXe siècle ont développé des systèmes financiers résilients qui reposent sur trois innovations:
- Instauration du contrôle des finances publiques par les Parlementaires, qui font partie des classes riches,
- Création d’une forme de banque centrale, garantissant la stabilité monétaire,
- Développement de réseaux nationaux de caisses d’épargne populaire dont les ressources sont mises à contribution lors de crises.
La Première Guerre Mondiale conduit à une accumulation de dettes libellées en équivalent or et à une inflation dépassant parfois les 200% qui remettent en cause la stabilité du système. Après la guerre les belligérants, incapables de se réconcilier, mènent des politiques de revanche et du chacun pour soi. Ils résistent à l’idée de dévaluer leur monnaie, et donc de la valeur de leur dette, mais doivent de crises en crises s’y résoudre (l’Allemagne en 1923, la France en 1926, l’Angleterre en 1931, les États-Unis en 1933).
La leçon de ces erreurs en sera tirée après la Seconde Guerre Mondiale. D’une part les monnaies des pays développés hors dollar sont sous-évaluées, d’autre part la coopération internationale encourage la reconstruction grâce au plan Marshall. La politique de réduction des obstacles aux échanges internationaux enfin permet d’ouvrir une longue période de croissance exceptionnelle, qui permet de réduire les déficits publics à moins de 50% à la veille des années 70.
Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 amorcent un cycle de remontée des déficits publics, accéléré par la crise financière de 2008 et la pandémie de 2021, jusqu’à atteindre un ratio de dettes sur PIB de plus de 100% en moyenne dans les pays de l’OCDE. La dette publique est devenue pour les pays développés un instrument de gestion macroéconomique pour lutter efficacement contre les crises de toutes origines, qu’elles soient énergétiques, financières, pandémiques ou militaires. Ce recours à l’endettement est facilité entre 2008 et 2021 par la réduction des taux d’intérêt qui deviennent nuls, et allègent d’autant la charge de la dette.
Mais en 2022 on entre dans une double crise: militaire, qui menace le monde de fragmentation, et climatique, qui appellent à une nouvelle mobilisation des finances publiques pour plusieurs décennies, alors que les taux d’intérêts s’envolent à nouveau. La dette sera de nouveau mise à contribution mais d’autres formes de financement seront à trouver.
La vidéo du billet avec Xerfi Canal
Dettes publiques : l’arme fatale contre les crises ? from Xerfi Canal on Vimeo.