Présentation de Économie de l’éducation ; Prix du livre en économie de l'AFSE 2024

photo remise des Prix ; crédit : Julien Grenet

Par Luc Behaghel, économiste, PSE - Ecole d'économie de Paris, INRAE ; Marc Gurgand, Directeur de recherches au CNRS (École d’économie de Paris et Julien Grenet, Directeur de recherche au CNRS, Directeur adjoint de l'Institut des politiques publiques. Billet publié dans le cadre de la Matinale de l'économie 2024 pour la remise du Prix de livre d'économie de l'AFSE 2024. Voir la vidéo de la matinale qui avait pour thème : Comment améliorer les performances de notre système éducatif ?

Comment réduire les inégalités sociales à l'école ? Comment favoriser la diffusion des meilleures approches pédagogiques ? Tout se joue-t-il vraiment avant 3 ans ? La taille des classes influence-t-elle la réussite des élèves ? Existe-t-il un « effet enseignant » ? Face à la carte scolaire, sommes-nous réduits à choisir entre être bons parents et bons citoyens ? Ces questions sont au cœur du débat public.

Depuis trois décennies, les éléments de réponse qu'apporte l'économie de l'éducation à ces questions s'appuient sur un profond renouvellement de l'économie appliquée, visant à utiliser de façon crédible – et souvent créative – des données de plus en plus riches. Dans le livre Économie de l’éducation, publié aux éditions La Découverte, nous avons souhaité proposer une synthèse à jour qui donne envie d'approfondir sa réflexion personnelle.

Ce livre présente un champ de recherche très actif, et qui a connu un profond renouvellement au cours des vingt ou trente dernières années : l’économie de l’éducation. Il s’agit d’un champ qui voisine avec la sociologie, les sciences de l’éducation ou la psychologie cognitive, qui ont en commun une partie des questions et des méthodes. Mais qui s’en distingue par deux traits. Le premier est d’analyser l’allocation des ressources, les propriétés des marchés et la nécessité de leur régulation. Ces dimensions peuvent sembler secondaires quand on pense à l’éducation : elles sont en réalité essentielles, notamment pour comprendre les inégalités qui traversent le système et pour envisager les moyens d’y remédier. En second lieu, l’économie de l’éducation se distingue par la place prise par l’évaluation des politiques et des interventions, en mobilisant des méthodes renouvelées comme des expériences randomisées à grande échelle, ou des quasi-expériences informées par des données d’une richesse et d’une étendue sans cesse croissantes.

couverture livre
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La première partie de l’ouvrage est la plus liée aux autres disciplines : on s’interroge sur la meilleure façon de faire progresser les élèves, en abordant trois ressources essentielles. D’abord l’argent public que l’on dépense, et la meilleure façon de le dépenser ; ici, la question est de savoir si l’on doit dépenser davantage ou si les ressources pourraient simplement être mieux utilisées, et s’il suffirait pour améliorer le système d’exploiter d’autres marges, comme la qualité pédagogique. Ensuite, les élèves eux-mêmes, et leurs interactions, amplificateur potentiel des inégalités. Enfin, au cœur du système, les enseignants. Cette partie présente l’analyse des « effets enseignants », c’est-à-dire la mesure de l’hétérogénéité de leurs performances, que la littérature récente a abondamment documentée. Elle s’interroge également sur les politiques de ressources humaines dans l’éducation, champ de recherche encore récent et qui reste largement à explorer.

La deuxième partie du livre aborde le cœur historique de l’économie de l’éducation : l’idée, introduite par Gary Becker dans les années 1960, selon laquelle les décisions d’éducation peuvent être interprétées comme le choix économique rationnel d’un individu ou d’une famille, ce qu’on a appelé la théorie du capital humain. Sans la prendre au pied de la lettre, et en rappelant les controverses, notamment celle issue de la théorie concurrente du « signal », on en souligne néanmoins la force. En particulier, les mesures du rendement salarial de l’éducation témoignent de l’importance de la dimension économique des décisions d’éducation. Mais ce modèle est intéressant surtout en ce qu’il permet de présenter les choix individuels dans un univers de contraintes, qu’il est possible d’analyser théoriquement et empiriquement. Nous en étudions deux, qui sont aussi deux sources des inégalités éducatives. D’une part, les contraintes de financement de l’éducation, auxquelles les étudiants issus de différents milieux sociaux sont inégalement exposés. Nous présentons les débats sur les effets des systèmes de bourses, de prêts et de la gratuité scolaire. D’autre part, les inégalités de ressources culturelles, sociales, cognitives, qui déterminent la réussite scolaire, l’ambition et les choix d’orientation, selon les milieux sociaux ou selon le genre. Cette question a été introduite par la sociologie dans les années 1960, et mobilise également la psychologie : les économistes, à la suite de James Heckman, s’en sont également saisis, notamment pour discuter l’arbitrage entre l’équité et l’efficacité des politiques publiques.

Enfin, la troisième partie de l’ouvrage explore les questions d’allocation des ressources, objet central de l’économie. On s’intéresse d’abord à la notion de quasi-marché de l’éducation : ce terme désigne des régimes institutionnels dans lesquels l’éducation est largement financée par les fonds publics, mais où il existe une liberté de choix des écoles, qui crée une forme particulière de concurrence. On y montre que les quasi-marchés sont des formes institutionnelles extrêmement répandues, mais variées dans leurs déclinaisons exactes. De très nombreuses analyses permettent d’en discuter les implications sur la performance du système éducatif et sur les inégalités scolaires. Une catégorie de ressources rares est particulièrement importante : les places dans les écoles. Si les quasi-marchés produisent une forme d’allocation de ces ressources, une grande partie des institutions reposent sur des systèmes qui ne dépendent ni des prix, ni des revenus, et qui nécessitent la mise en œuvre d’algorithmes pour allouer les élèves aux écoles ou les étudiants aux formations d’enseignement supérieur. Il s’agit en pratique de mécanismes centralisés, dont les paramètres dépendent en grande partie de choix politiques. Nous tentons de clarifier les débats qui les entourent. Enfin, les discriminations positives constituent un dernier jeu de règles d’allocation qui ont donné lieu à de très nombreuses études empiriques, qui permettent de dépassionner les débats.

Au total, ce livre ne cherche pas à être exhaustif, mais plutôt à présenter les évolutions récentes de ce champ de recherche, en donnant une grande place aux travaux empiriques et aux évaluations. Surtout, il vise à alimenter la réflexion sur les politiques scolaires. Les économistes universitaires ont depuis longtemps abandonné le paradigme de l’efficacité des marchés et de la rationalité individuelle : le champ de l’économie de l’éducation est traversé de controverses sur le rôle du marché et l’analyse des politiques publiques permettant à la fois d’améliorer la qualité de nos systèmes scolaires et de réduire les inégalités. Nous avons tenté de les restituer au lecteur, sans parti pris, mais en désignant les pistes qui nous semblent les plus plausibles, et celles pour lesquelles les efforts de recherche sont encore devant nous.

Luc Behaghel, Julien Grenet et Marc Gurgand

 

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Auteurs du billet

Matinale de l'économie 2024 : Remise prix du livre AFSE

Remise des prix dans le cadre de la matinale de l'économie 2024

 

- 1er prix : 
* Luc Behaghel, Julien Grenet , Marc Gurgand, Économie de l’éducation, La Découverte.

- 2 accessits :
* Alain Quinet, Économie de la guerre, Economica
* Arnaud Orain, Les savoirs perdus de l’économie - Contribution à l’équilibre du vivant, Gallimard.

- Mention spéciale :
* Pascal Saint-Amans, Paradis Fiscaux, Comment on a changé l'histoire, Seuil.

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