
Par Jean Coldefy, Président du conseil scientifique de France Mobilités et conseiller scientifique du think&do tank Géonexio, qui interviendra aux Jéco 2025 sur les conférences : Passer de la voiture au vélo ou au transport commun, est-ce si simple ? et Mobilités et climat : au-delà des tabous
Il y a un large consensus pour renforcer les liaisons en transports publics entre nos grandes villes, qui sont les locomotives économiques du pays, avec les villes moyennes et le périurbain (où vit plus de 40% de la population). Il faudrait en moyenne trois fois plus de transport public sur ces liaisons pour diminuer l’usage de la voiture, baisser ainsi nos émissions de CO2 et la congestion urbaine. C’est l’objet des Services Express Régionaux Métropolitains (SERM). Pour les financer, le secteur a obtenu en 2025 l’extension d’un impôt sur le cout du travail, le versement mobilité, ce qui n’est pas du tout à l’échelle des enjeux et oublie les autres priorités de la nation : la défense, l’éducation, l’innovation, la santé, la justice. On passe ce faisant sous silence un tabou du transport public en France (ce dont il ne faut pas parler) et quatre totems (ce qu’il ne faut pas remettre en cause).
Le tabou : les transports publics urbains comme TER coutent en moyenne 50% plus cher à la société que la voiture, avec de très fortes disparités dans les territoires. Selon le Laboratoire Aménagement et Economie des Transports de Lyon (LAET), les lignes TER coutent en moyenne 3 fois plus cher que la voiture. Nous sommes ainsi dans une situation aberrante où les économies d’échelles attendues d’une massification ne sont pas au rendez-vous. Quatre totems expliquent ce constat :
1er totem : Le train quoiqu’il en coute.
Des TER sont saturés pour accéder aux villes mais nous avons aussi beaucoup de TER peu remplis. Le train est un transport de masse, donc couteux. Le car plus fréquent et bien moins couteux (3.5 € versus 35 € au km pour le train) est bien plus adapté si l’on doit transporter 300 personnes par heure. En ville on ne déploie pas du métro partout, on met du tram, du bus quand le volume de passagers à transporter est plus faible. Il faudrait ainsi adapter l’offre à la demande et redéployer les moyens là où sont les besoins.

2ème totem : Le monopole ferroviaire qui fait payer cher à la collectivité sa faible productivité.
En Allemagne, qui a mis en concurrence ses TER depuis 1994, les TER coutent 2,5 fois moins cher aux Régions. Celles qui en France ont mis les TER en concurrence peuvent faire rouler beaucoup plus de trains pour le même budget. La concurrence est bonne pour le climat et les fonds publics et permet aux Régions de reprendre le contrôle de leur opérateur en définissant un niveau de service et en l’obtenant au meilleur prix.

3ème totem : La baisse constante de la participation de l’usager aux couts de leur transport public.
Elle est passée de 75% en 1970 à 25% en 2025. A Bogota l’usager couvre 100% des couts, ce n’est donc pas un problème de richesse mais de choix politique, faisant fi de la justice sociale (les ménages aisés sont les premiers bénéficiaires de la gratuité) et de la rareté des fonds publics. Les Français ne demandent pas des transports publics moins chers mais plus fiables et plus fréquents. Il faut déployer une tarification en fonction des revenus et non des statuts et revenir d’ici 10 ans à une couverture à 50 % par l’usager des couts de la mobilité, ce qui passera aussi par une baisse des couts d’exploitation, en adaptant l’offre à la demande et en augmentant la vitesse commerciale des bus, facteur clef de l’économie des transports publics de surface.

4ème totem : La centralisation et le communalisme.
Les ressources fiscales locales se sont contractées ces dernières années sous l’effet de la suppression de la taxe d’habitation et de l’extinction progressive de la CVAE, affaiblissant l’autonomie financière des collectivités. Ainsi les conseils régionaux en particulier, disposent de très peu de leviers pour financer les TER. Or, sans autonomie fiscale, la responsabilité politique est affaiblie et cela conduit à accroître la sollicitation de l’État, une option de plus en plus délicate compte tenu des fortes tensions pesant sur les finances publiques nationales. Pour en sortir, il faudra redonner une autonomie fiscale aux Régions et aux intercommunalités, par l’instauration après un débat démocratique d’une taxe dédiée aux transports publics, ce qui favorisera son acceptabilité, à l’image des déchets.
La gouvernance actuelle des mobilités présente par ailleurs une double incohérence, à la fois territoriale et fonctionnelle, qui pénalise grandement l’efficacité des politiques publiques et en augmentent leurs couts. Alors qu’en 1900 avec 35 000 communes nous parcourions en moyenne 4 km par jour, nous en réalisons aujourd’hui 40 avec le même nombre de communes. L’espace de vie des citoyens – là où l’on réside et là où l’on travaille, ce que l’on nomme une aire urbaine – est ainsi devenu dix fois plus grand que l’espace politique local, la commune. Ce qui conduit à une double incohérence : géographique avec un périmètre quotidien des citoyens qui n’est plus en adéquation avec le périmètre électoral ; fonctionnelle : avec une absence d’articulation entre les politiques de mobilité, de logement et d’aménagement à l’échelle des aires urbaines. Les béquilles institutionnelles que constituent les intercommunalités et syndicats mixtes conduisent à l’opacité des décisions (ces structures ne sont pas soumises au suffrage universel) et l’illisibilité du système. C’est la faible taille des communes qui a conduit à l’émiettement urbain favorisant l’usage de la voiture, qui privilégie les résidents au détriment de la construction de logements affaiblissant ainsi la cohésion sociale. Des territoires en France ont déjà compris l’enjeu et avancent, comme le Havre, Cherbourg, Reims qui ont fusionné les communautés d’agglomérations et de communes pour se mettre à l’échelle de l’aire urbaine, tout en gardant la commune comme échelon de gestion de proximité. Il faut suivre la voie de ces pionniers et leur donner les moyens d’amplifier encore le chemin qu’ils tracent.

Pour financer le choc d’offre nécessaire à la décarbonation des mobilités et à un meilleur fonctionnement des aires urbaines, il faut résoudre l’improductivité du secteur en dépensant mieux et revenir à une couverture des couts par l’usager de 50%, là où nous en étions en 1995. Taxer la sphère productive c’est poursuivre les politiques qui depuis 1975 ont détruit 2 millions d’emplois industriels, localisés pour l’essentiel dans les villes moyennes. Les entreprises françaises sont parmi les moins rentables d’Europe et donc pénalisées pour innover, ce qui est pourtant clé dans un pays où la main d’œuvre n’est pas bon marché. Ponctionner la sphère productive, comprime les salaires et engendre une spirale mortifère de demande de dépenses et d’endettement publics. C’est enfin par la mise en place d’un 3ème pouvoir fort, celui des aires urbaines, dialoguant avec les Régions et l’Etat que l’on pourra sortir du centralisme étatique qui conduit à une relation clientéliste avec l’Etat, affaiblissant en conséquence l’esprit public et de responsabilité. On pourra alors faire mentir Alexis de Tocqueville qui déclarait en 1850
« De tous les peuples du monde, le plus difficile à contenir est un peuple de solliciteurs. Quelques efforts que fassent ses chefs, ils ne sauraient jamais le satisfaire. »
« Le gout des fonctions publiques et le désir de vivre de l’impôt ne sont point chez nous une maladie particulière à un parti c’est la grande et permanente informité de la nation elle-même. C’est le produit de la centralisation excessive de notre gouvernement. C’est le mal secret qui a rongé tous les anciens pouvoirs et qui rongera de même tous les nouveaux. »
Pour aller plus loin :
Vous pouvez retrouver les interventions des Jean Coldefy sur sa page Téco (plus de 10 conférences disponibles)