Gare à la société algorithmique

Daniel Cohen, Professeur de sciences économiques à l’Ecole Normale Supérieure

Daniel Cohen

Chacun voit bien à quoi pourrait ressembler, dans vingt ans, le nouveau monde des services. Les taxis n’auront plus de chauffeurs, l’Apple Watch se sera démocratisée, permettant à chacun de prendre son pouls et de réaliser un electro-cardiogramme, offrant aussi, en partenariat avec Amazon, de livrer les médicaments qui vous ont été prescrits par le centre Google Health, lequel aura pris aussi le contrôle d’un réseau de pharmacies. Les ingénieurs, les « manipulateurs de symboles » inventeront des algorithmes qui feront tourner la société numérique au profit des GAFA. Dans cette société de stars, grandes et petites, le travail humain deviendra celui d’une domesticité au service des élites. Les Mark Zuckenberg et les Bill Gates auront toujours besoin de leurs coiffeurs, médecins et avocats, et en cascade, ceux-ci offriront des emplois de moins en moins payés à leur propre domesticité. C’est un système où le luxe sera d’échapper aux technologies et de bénéficier d’un service à la personne. Mais plus on s’éloignera du sommet, plus l’emploi sera dévalorisé, et la production de richesses numérisée.
 

Cette dystopie n’est pas le seul monde possible. Un autre peut être envisagé, dans lequel l’homme et la machine découvrent des complémentarités nouvelles, où le professionnel de santé affine son diagnostic et le suivi de ses malades sans renoncer à son rôle, où les enseignants peuvent à la fin de chaque cours réaliser un petit test rapide pour repérer ceux de leurs élèves qui décrochent, au lieu d’attendre les exams de fin d’année pour découvrir que c’est l’amphi qui a décroché... Cet autre chemin dessine un monde où les professions aujourd’hui en tension (dans les hôpitaux, écoles, Ephad…) utilisent les nouvelles technologies pour améliorer la qualité de leur prestation, sans renoncer à ce qui fait leur cœur de métier : offrir aux humains des services humains. C’est ce monde qu’il faut produire, en sachant qu’il ne viendra pas seul, qu’il faut donner aux hôpitaux et aux écoles, aux élèves et étudiants, les moyens de le faire advenir.

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