L’union européenne de l’énergie à l’épreuve

Elie Cohen, Directeur de recherche CNRS

Elie Cohen

Les dérèglements du marché européen de l’électricité interrogent après des décennies de politiques intégrées de l’énergie : instabilité des prix de gros malgré des réformes continues d’organisation des marchés, croissance des émissions de gaz à effet de serre malgré un effort majeur dans les énergies renouvelables, dépendance renforcée à l’égard du gaz russe malgré la réaffirmation d’une politique de sécurité énergétique.

Ces dérèglements aggravent les impasses de la politique industrielle : échec dans la batterie électrique, incapacité à normaliser et à déployer des bornes de recharge, atermoiements sur la sortie du diesel, échec de l’industrie solaire.

Comment comprendre de tels échecs alors que la politique de l’énergie fait partie du noyau dur des compétences que l’Europe a voulu d’emblée mettre en commun tant les vertus de la coordination voire de l’intégration s’imposent dans ce secteur. Industrie très capitalistique l’énergie requiert des stratégies au long cours. Entre le moment où une centrale nucléaire est conçue et le moment où elle est démantelée il peut s’écouler un siècle. Matière première décisive pour les industries de biens intermédiaires, facteur clé des coûts de production et même du budget des ménages, l’énergie est un facteur clé d’attractivité et de pouvoir d’achat. L’énergie électrique dont la production ne se stocke pas suppose une adéquation parfaite entre offre et demande instantanée. Enfin les variations climatiques et les caractéristiques des mix énergétiques nationaux rendent nécessaires et rentables les échanges organisés entre producteurs. Ainsi une offre occasionnellement déprimée dans le nucléaire en France et à l’inverse une offre surabondante d’ENR de l’autre côté du Rhin auraient pu s’équilibrer si les capacités d’interconnexion avaient été davantage développées. On aurait pu attendre qu’une telle politique soit au cœur de la constitution du marché unique électrique. Or tel n’a pas été le cas. On a privilégié l’éclatement et la mise en concurrence des opérateurs électriques.

Encadré
Le mépris des réalités : l’exemple allemand de l’Energiewende (2011) L’Energiewende (tournant énergétique) décidé en 2011 par Angela Merckel au lendemain de Fukushima a l’avantage de présenter un cas d’école de transition énergétique. La performance des renouvelables accompagnée du retrait du nucléaire (total en 2022) se paie au prix fort puisque le prix de l’électricité pour les petits consommateurs a doublé entre 2000 et 2013, et que l’Allemagne obligée de continuer à recourir massivement au charbon et au lignite est un des plus gros émetteurs européens de gaz à effet de serre (500 grammes de CO2/kWh contre 80 en France) ! Par sucroît un tel choix fragilise les réseaux et accroît donc les risques de black out. Autre résultat de la sortie du nucléaire, les exploitants sont ruinés et l’État allemand sera contraint de les indemniser pour les fermetures anticipées de centrales nucléaires. Enfin l’investissement massif dans le solaire qui devait faire naître un champion industriel a abouti à la disparition pure et simple de cette activité sur le sol allemand, au profit de la Chine.

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