Les grandes mutations en cours du dialogue social

Gilbert Cette

Par Gilbert Cette, Adjoint au Directeur général des Études et de Relations internationales à la Banque de France et professeur associé à l'Université d'Aix-Marseille, et Jacques Barthelemy, avocat

Le dialogue social vient de connaître de profondes mutations concernant le rôle de la négociation collective : un affaiblissement au niveau interprofessionnel et à l’opposé un renforcement spectaculaire au niveau des branches et surtout des entreprises.

L’affaiblissement du niveau inter-professionnel s’est manifesté notamment par deux évènements importants touchant le marché du travail. Dans chacun de ces deux domaines, les partenaires sociaux ont été appelés à négocier pour aboutir à des propositions de réformes ambitieuses dans le cadre d’un Accord National Interprofessionnel (ANI), conformément à la procédure née de la loi Larcher du 31 janvier 2007. Tout d’abord, en matière de formation professionnelle, ces négociations ont abouti à l’ANI du 22 février 2018, mais ce dernier a été considéré comme trop peu ambitieux par le Gouvernement qui a de ce fait pris la main, par la loi « avenir professionnel » du 5 septembre 2018. On voit là un changement radical car le précédent Gouvernement s’était contenté de transposer dans le code du travail par la loi du 5 mars 2014 l’ANI pourtant tout aussi peu ambitieux du 14 décembre 2013. Ensuite, dans le domaine de l’assurance chômage ; mais ici, les partenaires sociaux ne sont même pas parvenus à conclure un ANI et le Gouvernement a décidé de prendre la main par le décret du 26 juillet 2019.

Le renforcement du rôle de la négociation collective au niveau des branches et des entreprises a été concrétisé par des évolutions dont les ordonnances travail de septembre 2017 et la loi Pénicaud de mars 2018 sont l’aboutissement. Ces textes ont magnifié le rôle de la négociation collective en instaurant le principe d’une supplétivité des normes légales vis-à-vis des normes conventionnelles et de celles de branche à l’égard de celles d’entreprise. Ainsi, les accords collectifs peuvent désormais, dans de nombreux domaines, substituer des normes négociées à celles du droit réglementaire, dans les limites des principes (nés des droits fondamentaux) et du droit supranational (lorsqu’il s’applique).

On peut voir plusieurs raisons à l’affaiblissement du rôle de la négociation interprofessionnelle. Tout d’abord, l’émiettement syndical et la politisation des acteurs, extrême à ce niveau ce qui radicalise les positions. Ensuite, l’implication, y compris comme gestionnaires, des partenaires sociaux dans les domaines concernés par des réformes récentes. L’ambition réformatrice des partenaires sociaux en est pour le moins entamée… Cet affaiblissement est sans aucun doute durable, comme l’est à l’opposé le renforcement du rôle de la négociation collective au niveau des branches et surtout des entreprises.

L’avenir du paritarisme, en particulier du paritarisme de gestion, et le rôle du niveau confédéral des partenaires sociaux vont être profondément transformés par ce double mouvement. Certaines confédérations syndicales déjà en perte de vitesse ne semblent pas encore avoir pris la mesure de ces transformations, ce qui pourrait accentuer leur déclin. Le décalage de plus en plus frappant entre leur discours d’opposition très politique au niveau national et leur implication effective dans les négociations locales risque de renforcer le déplacement en cours des votes aux élections professionnelles vers les acteurs qui ne connaissent pas ce divorce. Est à souligner aussi le renforcement des moyens d’expression de la collectivité de travail grâce à l’institution unique du personnel au nom de l’intérêt général de l’entreprise. L’efficacité de cette dernière mutation pour contribuer à dynamiser le dialogue social dans l’entreprise serait sans doute plus grande si l’employeur sortait du CSE.

Retrouvez Gilbert Cette sur les conférences : "Comment le numérique bouscule l'emploi ?" ; "Quel partage entre salaires et profits" et "Dialogue social : les clés de l’avenir"  

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