Le fédéralisme, rempart contre une Europe marginalisée

A l'heure où s'ouvre le G20 et où l'Europe est affaiblie par la crise, tous les intervenants de la grande conférence, mercredi 10 novembre, étaient d'accord sur un point : les pays de l'Union européenne doivent jouer la carte du fédéralisme. Le terme, tabou il y a quelques années, s'est imposé comme point central de la discussion. Le constat est unanime : sans une volonté politique pour plus de fédéralisme, la voix de l'Europe risque d'être marginalisée dans le concert international.

La crise, après avoir réveillé les égoïsmes nationaux, peut-elle générer un sursaut de solidarité et de cohésion européenne? C'est la conviction de Loukas Tsoukalis, président du think tank grec pour la politique européenne et étrangère : "La crise a eu un effet positif : c'est la mère des changements. Elle doit pousser à une intégration plus poussée au niveau européen. Tout le problème est de savoir si les changements en cours seront durables ou non."
Benoît Coeuré, économiste en chef au Trésor, se pose la même question. "Je vais vous dire une banalité : la zone euro a besoin de stabilité et de croissance." Or en ces temps de tension et de nervosité des marchés, la stabilité budgétaire est loin d'être respectée. "Il y a quinze jours, le Conseil européen a décidé de sanctionner les pays dont le déficit est supérieur à 3% du PIB. Problème : ce sont des décisions de crise, qui doivent être pérennisées. "

Le respect de la stabilité

Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, a réaffirmé que sa part de contrat était remplie : "Nous sommes crédibles dans la stabilité des prix, chaque gouvernement doit en tenir compte, et chaque économie doit veiller à son inflation." La stabilité budgétaire, part de contrat des gouvernements, doit aussi être respectée : "La BCE est responsable du "M" de l'Union économique et monétaire, les gouvernements du "E". Nous avons dû lutter contre des grands pays européens qui pensaient que le Pacte de stabilité et de croissance était inutile. Or c'est un des éléments essentiels de la prospérité de l'Union économique et monétaire."
Mais Loukas Tsoukalis avertit : si nous allons trop loin dans la rigueur budgétaire, nous risquons un retour à la récession et au chômage et d'arriver à "un point de rupture sociale et politique. "Il nous faut rééquilibrer le "M" et le "E" et nous accorder sur la répartition du fardeau de l'ajustement." En évitant de le faire peser de façon excessive sur les pays les plus vulnérables, comme l'a souligné Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis.

En quête d'une nouvelle croissance

Les intervenants appellent à avoir une vision plus globale des nouveaux leviers de croissance européenne. Pour Benoît Coeuré, directeur général adjoint au Trésor, "L'Europe n'est pas isolée. Si elle n'en prend pas conscience, face à la concurrence des pays émergents, elle sera marginalisée sur la scène internationale.Il nous faut une plus grande coordination européenne, notamment pour mettre en valeur des secteurs d'avenir."
Philippe Herzog va plus loin et appelle à un "New Deal": "Pour le moment , nous avons paré au plus pressé, explique-t-il. Mais la croissance ne va pas venir toute seule. Il faut générer des investissements, créer des infrastructures et des compétences humaines. " Or, la Commission européenne est "un pilote un peu en difficulté, la réformer est indispensable. Ces derniers temps, la culture collective s'est un peu sclérosée. Il faudrait un nouvel Acte unique de croissance. Les ressources du budget, qui d'ailleurs sont souvent gâchées, doivent être destinées à des objectifs prioritaires."

La clé : un sursaut politique

Pour réaliser ces objectifs, encore faut-il être doté d'une vraie coordination européenne. "Étant une fédération monétaire, nous avons besoin d'une quasi-fédération budgétaire" , plaide Jean-Claude Trichet. Il imagine des États qui auraient "des responsabilités analogues à ceux des États-Unis". Serait-il possible que la Commission soit la préfiguration d'un gouvernement central européen? "Changer profondément la gouvernance de l'Europe, c'est absolument nécessaire."
La question de la volonté politique demeure : des pays comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France sont-ils prêts à se laisser dicter leurs règles budgétaires par une instance supranationale? " L'intégration se joue du côté des parlements nationaux. L'appétit n'est pas encore là, mais espérons qu'il viendra en mangeant", s'amuse Loukas Tsoukalis. Au delà de la volonté politique, l'Europe doit être posée dans le débat public. "C'est ici que la communication avec l'opinion devient fondamentale", conclue Jean-Claude Trichet.

A voir : l'interview de Jean-Claude Trichet en vidéo

Photo : © Grégory Delattre - Fotolia.com

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