Patrick Artus : « Si nous pensons croissance de long terme, le désendettement se fera tout seul »

Patrick Artus dénonce la politique européenne allemande, avoue son faible pour l'économie autrichienne mais surtout prône une vision à long terme. L'économiste de Natixis participait à la conférence Diversité des modèles européens, chance ou fardeau ?

Comment jugez-vous la position de l'Allemagne dans l'Union européenne ?

Il s'agit de voir s'ils vont rester sur des politiques très « non-coopératives » visant à contrôler le maximum de décisions européennes, ce qui est la tendance aujourd'hui. La décision de la cour constitutionnelle allemande consistant à obliger l'approbation parlementaire de toutes les aides européennes est tout à fait extraordinaire. Cela correspond à une interprétation très particulière de la part des constitutionalistes allemands, selon laquelle le droit des traités européens ne prime pas sur le droit allemand. Ils n'acceptent pas l'idée qu'en cas de contradiction entre un traité européen et la constitution allemande, ce soit le traité qui l'emporte, une vision qui est complètement acceptée dans les autres pays. Ils peuvent ainsi exercer un contrôle politique a posteriori : une aide commune décidée lors d'un sommet européen pourrait être refusée par le parlement allemand. Etant donné que leur contribution est la plus grande, cette aide ne verrait pas le jour. C'est une politique de puissance. Les Allemands considèrent qu'il faut qu'ils contrôlent l'Europe.

Vous affirmez que les différences entre les économies européennes se sont accrues depuis l'introduction de l'euro. Est-ce dû à la monnaie unique ou à autre chose ?

L’hétérogénéité économique intra-européenne est due à deux phénomènes. Les pays ont des caractéristiques institutionnelles différentes. Ils n’ont pas la même façon de négocier les salaires, les syndicats français ne se comportent pas comme les syndicats allemands. Ils n’ont pas la même façon de négocier, ne font pas les mêmes compromis. Ensuite, c’est vraiment l’euro qui est responsable, avec la disparition du risque de change. Quand une économie est exposée au risque de change, elle produit de manière locale pour éviter la dévaluation de sa monnaie. La disparition de ce risque permet de produire là où c'est le plus efficace pour vendre n'importe où. Une très grande partie de la désindustrialisation de la France, la Grèce ou l’Espagne est bien liée à l’euro. Certains pays (Finlande, Autriche…) restent très industriels, avec des excédents extérieurs, accumulent du capital avec les mêmes concurrents et mêmes règles douanières. Il n’existe pas de malédiction de la désindustrialisation. C’est un problème d’institutions.

On parle de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, des pays à problèmes. Pourquoi n’évoque-t-on jamais les petits pays, comme ceux du Benelux, l’Autriche, l’Estonie, Malte… ?

L’Autriche est un pays spectaculaire, très intéressant à regarder. Ce pays a une économie monstrueusement ouverte, avec des salaires plus élevés que l’Allemagne. Il ne souffre pas de la crise, car les Autrichiens produisent à un niveau de gamme tellement élevé qu'il les rend insensibles aux cycles économiques. Les Pays-Bas sont un pays différent, très peu industrialisé, dont l'économie de services et de transports pâtit beaucoup du ralentissement des échanges mondiaux. En pleine désindustrialisation, la Belgique souffre aussi. Elle partage des caractéristiques communes avec la France.

Comment l’Europe pourrait-elle rebondir si elle entrait en récession ?

Il faut abandonner la conjoncture à court terme. Nous devons changer d’objectif et nous intéresser à la croissance potentielle. L’objectif n’est pas de réduire les déficits publics mais de privilégier le long terme dans les choix budgétaires. Aujourd’hui, les Etats et les entreprises arrêtent d’investir et nous allons vers la destruction. Si nous pensons une croissance de long terme, le désendettement se fera tout seul.

Propos recueillis par Thibaut Geffrotin et Pierre Stassen

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