Dette publique : Identifier les vrais enjeux

Par Xavier Ragot qui intervient sur la conférence : Dette : qui va payer ?

La dette publique mondiale atteint maintenant un niveau inédit, inconnu même en temps de guerre. Pour la France, la dette publique rapportée à la richesse nationale n’a pas atteint le niveau de la seconde guerre mondiale mais, sans nul doute, le sujet de l’endettement de l’État sera au centre des prochains débats de politique économique.

L’enjeu est important et le débat public est malheureusement pollué par des affirmations fausses. En voici une : « la dette publique, c’est faire payer les générations futures ». Rien n’est plus faux, comme on le montre plus loin. Cet exemple montre que les effets distributifs de la dette publique ne sont pas bien compris du grand public. Il faudra beaucoup de pédagogie pour expliquer les effets de la hausse des dettes publiques, en commençant par identifier les enjeux essentiels. Tout d’abord, l’enjeu n’est pas celui de la soutenabilité de la dette publique française. En effet, cela fait maintenant quarante ans que l’on assiste à une baisse continue des taux d’intérêt sur les dettes publiques mondiales. Cette tendance n’a pas été interrompue ni par la crise des subprimes de 2008, ni par la crise de la Covid-19 à ce jour.

Malgré la hausse de la dette publique française, autour de 120% du PIB en 2021 (selon les prévisions de ce mois), le paiement des intérêts sur la dette publique en 2021 reste inférieur à son niveau de 2019, simplement parce que le taux d’intérêt apparent sur la dette publique a plus décru que la hausse de 20% de la dette publique depuis la crise de la Covid-19. Les explications pour la faiblesse des taux d’intérêt sont multiples : insertion de la Chine dans l’économie mondiale, vieillissement de la population, augmentation des inégalités, augmentation de l’épargne de précaution, achat par les banques centrales, chute de l’investissement et transition vers une économie des services, entre autres. Sans entrer dans les détails, aucun de ces facteurs n’est temporaire. La faiblesse des taux d’intérêt sera donc un facteur persistant.

La question centrale est celle des effets redistributifs de la dette publique.

Pour les identifier, il faut partir d’évidences. La hausse de la dette publique signifie que l’État s’endette auprès des générations présentes qui acceptent de détenir la nouvelle dette publique. Les ménages qui détiennent la dette publique (ou leurs héritiers) recevront les intérêts supplémentaires payés par l’État. Pour payer ces intérêts, l’État devra augmenter un peu les impôts, du fait de la faiblesse des taux d’intérêts. Les effets redistributifs de l’émission de nouvelles dettes proviennent donc de la différence d’identité entre ceux qui reçoivent les intérêts de l’État et ceux qui paient l’impôt pour payer ces intérêts.

Si la hausse d’impôt porte sur les ménages qui ont acheté la dette publique, il n’y a pas d’effets redistributifs. La hausse de la dette publique fournit à ces ménages un support d’épargne, dans un environnement troublé, et conduit à une hausse du taux de prélèvement obligatoire. Si les ménages qui paient l’impôt nouveau ne reçoivent aucun intérêt (ni directement, ni indirectement par leur détention de livret A par exemple), les effets redistributifs sont maximaux. Ainsi, la question de la dette publique n’est pas une question intergénérationnelle mais d’abord intra-générationnelle. Les effets redistributifs seront au sein des générations futures, et non entre la génération présente et la génération future. Il est donc crucial de considérer en même temps le volume des intérêts payés par l’État et les effets redistributifs globaux du système fiscal.

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