Réinventer la démocratie

Par Julia Cagé qui intervient sur la conférence : Une société démocratique à reconstruire

Face aux frustrations, une refondation démocratique s’impose : parité de genre et parité sociale, référendum délibératif, démocratisation des partis et des mouvements politiques. C’est à ce prix que les citoyens pourront se réapproprier la chose publique après le traumatisme épidémique et la démocratie en veilleuse.

La démocratie n’existe pas. Elle reste à inventer. Alors que la crise sanitaire ne faiblit pas, que des mesures d’état d’urgence sont décrétées un peu partout, jamais la démocratie n’a semblé aussi fragile. Non parce que des citoyens égarés y auraient renoncé ; mais bien parce que nos institutions, déjà imparfaites, sont chaque jour un peu plus affaiblies par des mesures visant à concentrer toutes les prises de décision entre les mains d’un nombre d’individus toujours plus réduit, dont certains n’ont même pas la légitimité des urnes.

Le fonctionnement de notre démocratie avant l’état d’urgence n’était déjà pas glorieux. Jamais la représentation politique n’a été aussi éloignée de la réalité, aussi éloignée d’une représentation « descriptive » de la société et de ses classes sociales qu’au cours des dernières années. L’Assemblée nationale compte aujourd’hui parmi ses rangs moins de 3% d’ouvriers et employés, alors même qu’ils sont près de la moitié de la population active.

Les citoyens souffrent ainsi d’un double déficit de représentation : un manque de représentativité descriptive d’une part et un manque de prise en compte de leurs opinions dans les politiques menées de l’autre, double déficience que l’on peut expliquer au moins en partie par la capture croissante de la démocratie par les financements privés. Comment s’étonner dès lors que la participation électorale ne cesse de s’éroder ?

Avec l’état d’urgence sanitaire aujourd’hui, vient s’ajouter à ce déficit de représentation – et aux dysfonctionnements flagrants de notre système législatif – la mise sur la touche de l’Assemblée nationale elle-même, qui se retrouve dépossédée de ses pouvoirs. Semaines après semaines, le Président ou le Premier ministre font des annonces qui restreignent nos libertés ; les députés en débattent non plus avant, mais bien après. On a longtemps reproché à l’Assemblée nationale, enfermée dans les contradictions de la Cinquième République, de n’être qu’une chambre d’enregistrement. Si les députés – surtout ceux de la majorité – ont fait preuve de peu d’initiative au cours des dernières années, ils sont réduits aujourd’hui à approuver benoîtement des mesures dont ils n’ont pas discuté. Soyons précis : il ne s’agit pas ici d’attaquer la légitimité du confinement, mais la manière dont les décisions sont prises. Dans une telle situation de crise, il n’y a pas de « bonne » solution car les dimensions du problème sont infinies et complexes, à la dimension sanitaire venant s’ajouter la problématique économique et sociale. Or l’état de notre démocratie est tel que le gouvernement et les oppositions ont abandonné l’idée même de la délibération.

Pour une parité de genre et une parité sociale

L’équilibre d’ensemble était déjà bancal depuis longtemps. Avec la crise de la Covid-19, c’est en entier qu’il faudra reconstruire une société démocratique. Une société démocratique où le Parlement aura un véritable rôle à jouer. Une société démocratique qui assurera la participation de l’ensemble des citoyens, avec des réformes en profondeur du fonctionnement de nos institutions. Comme je le propose dans Libres et égaux en voix (Fayard, 2020), il faudra imposer la parité de genre et la parité sociale au Parlement : les femmes comme les classes populaires (ouvriers, employés et travailleurs précaires) représentent la moitié de la population, ils doivent donc représenter la moitié des élus. Certains trouveront ces mesures radicales ; en vérité elles sont adaptées à l’exclusion radicale de la scène politique dont font l’objet ces groupes, que seule l’action volontariste peut permettre de combler.

Avec la mise en place d’un référendum délibératif au niveau national et d’une obligation généralisée de transparence, de délibération et de vote à l’intérieur des partis, il est possible de permettre aux citoyens de se réapproprier la politique. La démocratie est un processus toujours inachevé. Mais il existe des temps d’accélération où l’inachèvement est tellement béant que des réponses urgentes doivent être apportées. Nous y sommes.

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