Le COVID-19 a-t-il vraiment marqué l'avènement des villes moyennes ?

Par Nadine Levratto qui intervient sur Une renaissance des villes moyennes et Du global au local

Le confinement intervenu en mars 2020 et les difficultés à le vivre notamment au sein des métropoles ont attiré l’attention sur les mouvements de population fuyant les grandes villes pour se réfugier dans leurs résidences secondaires plus spacieuses et situées dans des environnements plus champêtres. Bien qu’ils aient fait grand bruit, l’ampleur de ces premiers déplacements est restée limitée ; entre 150 000 et 200 000 personnes auraient voyagé jusqu'à la région des Pays de la Loire et entre 80 000 et 100 000 se seraient rendu en Vendée afin de se confiner dans leurs résidences secondaires. Une fois le choc passé et le télétravail organisé, l’intérêt pour les résidents secondaires a laissé la place aux déménagements plus pérennes, suivant un mouvement centripète semblable. Le monde d’après serait donc celui des villes moyennes comme le constataient plusieurs articles de presse dès l’automne 2020 ?

Plusieurs arguments expliquent ce retour en grâce des villes moyennes en relation avec le Covid-19. D’abord, principalement concentrée dans les espaces les plus denses, l’épidémie a révélé d’importantes disparités territoriales qui sont venues contrecarrer la thèse, pourtant difficile à confirmer, de l’avantage absolu des métropoles et de leur rôle moteur dans l’économie.
Ensuite parce que le terrain était préparé. Depuis plusieurs années, la question des villes moyennes préoccupe les citoyens et les décideurs publics. Le programme Action Coeur de ville de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, qui fait suite à l'expérimentation “20 Villes moyennes témoins” lancée en 2007 par la DATAR et à la dotation de soutien à l’investissement public local (DSIL) de près de 121 millions d’euros en 2017, traduit la volonté des pouvoirs publics nationaux et des élus locaux de corriger la dévitalisation des centre-villes de ces villes moyennes.
Enfin, en soulignant le rôle des inégalités spatiales, la géographie du mécontentement a également mis l’accent sur la nécessité d’atténuer le sentiment d’abandon de certains territoires, y compris des villes moyennes, dans lequel a puisé le mouvement des “gilets jaunes”.
Il est encore trop tôt pour savoir si l’impression que dégagent les articles de presses, sondages, micros-trottoirs et associations d’élus permet d’étayer l’hypothèse de l’exode urbain.
Seule la publication des chiffres du recensement de la population pour les années 2020 et 2021 permettra de trancher. Il est cependant possible et légitime de s’interroger sur la dé-métropolisation et le renforcement de l’attractivité des villes moyennes d’une part et les moyens de transformer une série d’anecdotes en phénomène statistique. À l’appui de la thèse de la revanche des villes moyennes on trouve l’éviction d’une partie de la population due au prix du foncier, le développement du télétravail pour certaines occupations et le goût des français, ancien mais ravivé par le confinement, pour la maison individuelle. La politique industrielle pourrait confirmer ce mouvement. Maintenir ou relocaliser des activités industrielles sur le territoire national conduirait aussi, à terme, à favoriser les villes moyennes face aux métropoles en manque de foncier industriel.
Les arguments à l’encontre de cette thèse sont au moins aussi nombreux et convaincants. Tout d’abord, les mouvements de population se sont surtout effectués au profit des villes moyennes situées aux périphéries des grandes villes. Les départs de Bordeaux, Lyon, Marseille, Paris ou Toulouse se font majoritairement pour leurs banlieues éloignées, au sein des mêmes bassins de vie. Ensuite, toutes les villes moyennes, loin s’en faut, ne bénéficient pas d’un afflux de population.
Celles des grandes couronnes des régions métropolitaines de l’Ain, l’Eure ou le Maine et Loire gagnent de nouveaux habitants, bien davantage que l’Allier ou la Corrèze.
Enfin, les villes moyennes bien desservies comme Angers, Poitiers ou Sens se révèlent largement plus attractives que celles qui sont plus isolées.
Au total, au-delà des discours des agents immobiliers désireux de surfer sur une nouvelle bulle immobilière qui toucherait des espaces jusqu’ici peu rémunérateurs et des responsables politiques locaux auxquels on ne saurait reprocher d’accréditer un phénomène auquel ils aspirent depuis longtemps, rien ne dit que l’organisation spatiale de la France “post-Covid” sera radicalement différente de celle du “monde d’avant”. De nombreuses inconnues demeurent en matière d’organisation du travail, d’évolution du tissu productif et de transformation des modes de vie pour assister au rééquilibrage démographique et territorial espéré.
À ces questions circonstancielles s’ajoute une problématique de fond soulevé par la notion même de ville moyenne. Leur nombre élevé (dû à leur catégorisation statistique), la diversité de leurs profils et l’imaginaire qu’elles véhiculent laissent largement ouverte la question de leur définition et du regard de la recherche sur cet objet.

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