Faut-il réinventer l'économie de la santé ?

Par Lise Rochaix qui intervient sur Réinventer L’économie de la santé

Les économistes de la santé doivent-ils modifier leurs méthodes et programmes de recherche à la suite du ‘choc de santé’ que constitue la Covid ? Quelles sont les conditions sous lesquelles ils compteront, demain, parmi les contributeurs à l’éclairage des décisions en santé ? Par Lise Rochaix, Professeure de Sciences économiques, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et intervenante aux Journées de l’Economie 2021.

La Covid 19 a révélé le manque de confiance d’une partie importante de la population française dans l’expertise scientifique, dont participe l’analyse économique appliquée à la santé. A cet égard, selon Christian Gollier : "L’intensité des désaccords sur les politiques sanitaires à mener entre confinement fort ou léger, long ou court, ou sur l’obligation vaccinale par exemple, n’a pas permis de faire émerger dans le débat public, et même au sein des experts du Conseil scientifique, une méthodologie générale d’évaluation de ces politiques sur la base scientifiquement fondée de l’analyse coût-bénéfice"

Les économistes de la santé ont veillé à réfuter précocement un antagonisme réducteur conduisant à mettre en balance croissance et santé. Ils ont par ailleurs montré leur capacité à produire des travaux sur l’existence d’importantes inégalités sociales de santé face à la Covid (OFCE Policy Brief, 74). Comparé aux travaux des épidémiologistes, ceux des économistes de la santé ont été moins présents dans le débat public.

Par analogie à des travaux qui étudient les chocs de santé et leur impact sur des décisions individuelles ou collectives, il peut être utile de s’interroger sur la façon dont la Covid a pu amener les économistes de la santé à modifier les modes de production et de partage de leurs travaux de recherche. L’ouvrage du Collège des Economistes de la Santé (2021) sur les enjeux et défis du système de santé français offre plusieurs pistes prometteuses de développement de l’analyse économique dans ce domaine.

Mais que s’est-il effectivement passé, une année après avoir tiré les premières leçons de la Covid aux JECO 2020 sur la nécessité d’une interaction plus forte entre disciplines et à l’intérieur de la discipline économique, entre micro et macroéconomie.

Quelles réponses ont depuis été apportées aux questions suivantes : “Peut-on penser les politiques de sécurité des soins, de qualité des soins et de prévention, in abstracto, sans référence aux moyens qui peuvent leur être alloués, sans rappeler que tout investissement consenti dans un domaine comme la santé ne l’est pas dans un autre secteur, comme l’éducation ou le logement ? De manière symétrique peut-on penser les politiques économiques sans considération des bénéfices à court et à long terme (en années de vie gagnées) associés à des mesures de confinement ou de couvre-feu ?" (Le Monde, 15-16/10/2020)

Il importe donc de s’interroger sur la place que pourra tenir l’économie de la santé demain, face à de tels chocs macroéconomiques et la façon dont elle peut s’y préparer au mieux.

Sans aller jusqu’à la “réinventer”, vu son jeune âge (la naissance de l’économie de la santé en tant que domaine d’application à part entière de la science économique ne date en effet que de 1963, avec l’article fondateur de K. Arrow), il conviendra en effet que l’économie de la santé se développe dans plusieurs directions. La première voie est celle de l’interdisciplinarité, impliquant une articulation plus forte avec d’autres disciplines présentes au chevet de la santé : il s’agit d’une part des épidémiologistes, dont les modèles dynamiques en population générale peuvent être utilement conjugués à ceux des économistes, comme l’a bien montré Christian Gollier ; il s’agit d’autre part de collaborations dans le domaine de la santé publique, que Jérôme Wittwer évoquera à son tour en discutant d’une présence encore trop timide des économistes de la santé dans les travaux en santé publique sur le prévention, l’accès aux soins, ou encore l’organisation des soins et leur financement. La deuxième voie est celle d’une articulation plus forte entre macroéconomie et microéconomie en santé.

De fait, peu de travaux macroéconomiques existent en santé permettant de documenter les relations entre santé et croissance, à court et à long terme, à l’instar de ceux menés par l’Institute for Fiscal Studies par Carol Propper. La troisième voie est celle d’approches intersectorielles : travailler à l’intersection de secteurs d’application comme la santé et l’environnement, permet, comme l’évoquera Lise Rochaix à partir de la mesure des bénéfices sanitaires d’actions environnementales, de partager les outils d’évaluation et les faire évoluer. Tout comme d’autres secteurs d’application de la science économique, l’avenir de l’économie de la santé dépendra in fine de sa capacité à partager largement ces résultats et permettre qu’ils soient mobilisés par les décideurs pour l’éclairage de futures décisions d’allocation de ressources rares.

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