Financer les Etats autrement

Par Jézabel Couppey-Soubeyran qui intervient sur Gérer la dette publique post-Covid

Il a fallu beaucoup de dépenses publiques pour gérer la crise sanitaire et il en faudra davantage encore pour faire face à la crise écologique. Ces dépenses vont inévitablement creuser les déficits publics. Soit on y renonce, au nom de la soutenabilité des finances publiques, et la transformation écologique et sociale de nos sociétés n’aura pas lieu, de quoi compromettre sérieusement la vie humaine sur terre. Soit on en accepte la nécessité et l’urgence. Mais pourra-t-on réaliser ces dépenses de transformation sans rien changer au schéma actuel de financement des États ?

C’est en s’endettant sur les marchés financiers que les États se procurent les ressources dont ils ont besoin pour financer leur déficits.

Les banques centrales ne sont plus leurs filiales financières puisqu’il leur est interdit d’apporter leur concours direct. Elles apportent, en revanche, un soutien indirect au financement des États, à travers leurs programmes d’achats de titres. Le niveau bas des taux d’intérêt a beau s’inscrire dans une tendance longue tenant à des facteurs structurels (le vieillissement de la population, l’excès d’épargne mondiale,...), nul doute que les taux des emprunts sur les marchés de la dette souveraine remonteraient sans ces achats massifs de titres de dette publique par les banques centrales. Davantage encore dans la zone euro où, en l’absence d’union budgétaire, les dix-neuf États de la zone euro se financent en émettant chacun leur dette libellée en euros sur les marchés financiers, les achats d’actifs de la BCE aident à maintenir les taux souverains au plus bas.

EN MESURE-T-ON CEPENDANT LES CONSÉQUENCES ?
Ces opérations font surtout monter les prix d’actifs financiers et immobiliers.
Ces effets de prix d’actifs renforcent les inégalités car ils profitent aux plus riches qui voient la valeur de leur patrimoine augmenter mais pas aux plus modestes.
Ils augmentent aussi le risque de crise financière à moyen long terme en contribuant potentiellement à la formation de bulles sur les marchés obligataires, mais aussi sur les marchés d’actions, de cryptoactifs, ainsi que dans l’immobilier. Alors, si le seul avantage de cette politique est d’apporter une assistance financière qui ne dit pas son nom (pour rester compatible avec le mandat de la BCE), ne vaudrait-il pas mieux permettre aux banques centrales d’apporter clairement cette assistance financière aux États sans souffrir les conséquences négatives des achats d’actifs ?

DEUX TYPES DE SOLUTIONS ALTERNATIVES SONT IMAGINABLES
La plus franche des solutions alternatives consisterait à rétablir cette possibilité d’assistance financière directe des banques centrales aux États. Dans le cas de l’Eurosystème, cela impliquerait de supprimer l’article 123 du TFUE, pour donner à la BCE la possibilité soit d’intervenir sur le marché primaire de la dette (pour éviter des emballements de prix sur les marchés secondaires), soit d’accorder des prêts ou des découverts aux Etats comme l’a fait la banque d’Angleterre au début de la crise sanitaire. Dans ce cas, deviendraient même envisageables des “ dons” de la monnaie centrale aux États pour financer la part d’investissements non “rentables” dans la transition écologique, qui s’accommoderont très mal d’un financement par la dette puisqu’ils ne créeront pas les revenus nécessaires à leur remboursement.
Le chamboulement institutionnel requis par ce type de solution le rend évidemment peu envisageable. Ne nous interdisons pas pour autant d’y penser !
L’autre solution moins radicale, moins pérenne aussi, flirterait autant avec les limites du traité que les achats d’actifs, et consisterait à obtenir un abandon des créances que l’Eurosystème détient sur les États, conditionnellement au réinvestissement des montants annulés. Les États de la zone euro seraient ainsi engagés à investir près de 3 500 milliards dans la transition écologique et sociale, à dette constante.
Ce ne serait pas dans l’esprit du traité mais guère moins que les achats d’actifs !
Et ce serait bien moins dangereux pour les marchés financiers que la poursuite de la politique actuelle car aucun investisseur privé ne serait lésé. La perte serait supportée par la BCE et cela ne l’empêcherait pas de fonctionner car on ne le rappellera jamais assez : une banque centrale n’est ni une entreprise, ni une banque commerciale, mais une institution qui n’a de dette que dans la monnaie qu’elle crée et dont le pouvoir de création monétaire doit servir à la société tout entière.

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