“Revenu jeune” : entre assistance, complaisance et reconnaissance

Par Thibault Briera, Agrégé de SES, doctorant au CIRED, rédacteur chargé des présidentielles Oeconomicus
Publié le 05/03/2022

“Allocation d’autonomie” (J.L. Mélenchon), “Revenu citoyen” (Y. Jadot), “Revenu d’engagement” (E. Macron): à l’approche de l’élection, les propositions pour un “revenu jeune” se multiplient. Pour comprendre l’intérêt des candidats pour un revenu jeune qui semble s’affranchir du traditionnel clivage gauche-droite, il faut s’attarder sur trois points clefs du contexte politique, économique et social de cette élection : la situation économique des jeunes à la sortie de la crise du Covid, le besoin de mobiliser la jeunesse pour le scrutin présidentiel d’avril et le besoin de reconnaissance d’une génération qui se considère comme “sacrifiée”.

Lutter contre la précarité des jeunes, une situation devenue urgente

Les jeunes sont particulièrement concernés par la pauvreté et la précarité : le constat n’est pas nouveau. Selon l’INSEE, en 201919% des 18 à 29 ans disposaient de moins de 1102€ par mois (60% du revenu médian de la population française) pour vivre, contre 14,6% pour le reste de la population (INSEE, Enquête Revenus fiscaux et sociaux 2019). Or, la sortie de la crise sanitaire du COVID-19 laisse craindre une détérioration de la situation des jeunes. Premières victimes de la baisse d’activité de 2020, la situation des jeunes sur le marché du travail s’est rapidement dégradée, nombre d’entre eux connaissant des périodes de chômage technique et des difficultés persistantes à trouver un emploi stable. Le nombre de “NEET” (ni en études, ni en emploi, ni en formation) reste aujourd’hui plus élevé qu’avant la crise. La santé mentale des jeunes paraît particulièrement préoccupante, avec par exemple un décrochage inquiétant des occurrences de syndromes dépressifs chez les 18-24 ans par rapport au reste de la population, ce qui n’est certainement pas sans lien avec la situation présente et future des jeunes, qui se montrent particulièrement pessimistes vis-à-vis de leur avenir (DREES, Etudes & Résultats, numéro 1185, mars 2021 ).
Face à “l’urgence jeune”, la réponse du revenu jeune semble toute trouvée. Que ce soit pour poursuivre des études dans des conditions matérielles décentes ou réussir à trouver un emploi convenable en adéquation avec ses compétences quand on n’a droit ni au chômage, ni au RSA, le revenu jeune protège de la précarité extrême. Il s’agit de porter assistance aux jeunes qui en ont besoin, non pas dans une logique dégradante “d’assistanat” mais au sens noble de l’assistance en tant que protection, d’aide inconditionnelle face une situation de mise en danger.

Le revenu jeune comme marqueur politique : envoyer un message à une génération éloignée des urnes.

Les 18-24 ans constitue la tranche d’âge qui s’est la plus abstenue à l’élection présidentielle de 2017 (34%, contre 25% dans l’ensemble de la population). L’enjeu du “vote des jeunes”, soit 5 millions d’électeurs entre 18 et 24 ans, est alors loin d’être négligeable pour accéder au poste présidentiel. On peut voir le revenu jeune comme un appel du pied politique, une incitation à s’intéresser à l’élection en s’adressant directement au public ciblé. D’ailleurs, les variantes du revenu jeune sont révélatrices des orientations politiques. Chargé de symbolique, le revenu jeune sera plus ou moins généreux (500€ pour le revenu d’engagement d’E. Macron, entre 600€ et 800€ à gauche, cumulables avec d’autres aides comme les APL) et soumis -ou non- à conditionnalité : les bénéficiaires du revenu d’engagement seront par exemple tenus de suivre un parcours d’accompagnement professionnel. Un revenu jeune à géométrie variable donc, modulé pour attirer la jeunesse sans froisser le reste de l’électorat.

La réponse à une demande de reconnaissance

Les propositions de revenu jeune apparaissent logiquement à l’approche de l’élection présidentielle, dans un contexte de grande précarité économique d’une partie de la jeunesse. Une troisième raison, à la fois plus structurelle et plus subjective, permet d’expliquer l’irruption du revenu jeune dans le débat public. La jeunesse qui étudie est loin de se considérer comme improductive ou inutile : elle est la main d’œuvre formée de demain, elle multiplie les stages et les emplois en alternance et vit souvent de petits boulots. Rajoutons ceux qui ont dû interrompre leurs études fautes de moyens, ceux qui ont des projets qu’ils ne peuvent financer, et le sentiment généralisé d’avoir été une “génération sacrifiée” pour protéger les plus fragiles au cœur de la crise sanitaire : on comprend le besoin de reconnaissance de cette jeunesse. Le revenu jeune est-il la réponse adapté face à cette demande pressante de reconnaissance ? La symbolique que porte le revenu jeune est certes puissante. Être jeune c’est se chercher, se former : devenir un citoyen éclairé et éduqué mérite salaire. Est-ce suffisant ? Le revenu jeune ne saurait être l’unique mesure pour résoudre l’ensemble des problèmes rencontrés par les 18-24 ans, catégorie qui recouvre des situations si différentes. L’autonomie et la reconnaissance passent par la satisfaction des besoins matériels élémentaires, mais ne s’y résume pas. A l’ensemble des candidats à l’élection : le revenu jeune, pourquoi pas; mais pas juste un revenu jeune.

origine du blog