L'économie des Jeux Olympiques

Par Wladimir Andreff, Professeur honoraire de Sciences économiques à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, qui intervient sur la conférence des Jéco 2023 : L'économie des Jeux Olympiques

La France accueille l’édition les Jeux Olympiques (JO) et Paralympiques d’été 2024 à Paris. La ville hôte des JO attend un impact, mesurable par les économistes, en l’espérant positif et le plus grand possible. Elle entend maîtriser les coûts d’organisation des JO et calmer les craintes des contribuables: il n’y aura pas de déficit.

Les deux piliers de l’analyse économique des JO sont le dépassement du coût des JO et leur impact économique sur le territoire hôte. Thème plus récent: un modèle économique prévoit la répartition des médailles olympiques entre les nations participantes. Le pays hôte des Jeux gagne toujours plus de médailles olympiques que s’il n’était pas l’hôte. 

 

1/ Le dépassement du coût des Jeux Olympiques

Depuis 1972 est observé un dépassement systématique du coût ex ante, annoncé lors de la candidature, par le coût ex post (à l’exception de Los Angeles 1984). Le taux de dépassement du coût (coût ex post / coût ex ante) est, en moyenne, de 100% (coût multiplié par deux). Le budget initial de Paris 2024 est dépassé, fin 2022, de 35%. 

La première explication du dépassement est la théorie des enchères - le phénomène de la winner’s curse (malédiction du vainqueur de l’enchère). Il découle du mode d’attribution des JO où le CIO met en concurrence des villes candidates par enchère. Pour l’emporter, les villes candidates se livrent à une surenchère en proposant des projets de JO magnifiques, mais en sous-estimant leur coût. Seule la ville hôte subira le dépassement du coût pendant sept ans, le coût sous-estimé ex ante rejoignant le coût effectif ex post. Quand la valeur de l’objet mis aux enchères n’est pas connue ex ante, le vainqueur est celui qui a le plus surestimé la valeur de l’objet et a surenchéri sur tous ses concurrents. Il paie trop cher pour ce qu’il obtient (Thaler, 1994). L’exception Los Angeles 1984, candidat unique, confirme cette thèse.

La deuxième thèse (préférée au CIO) est une faible gouvernance du système politique local. La sous-estimation du coût vient d’interventions politiques, à la hausse, sur le budget du COJO. Une fois les JO attribués à une ville, le CIO n’a plus guère de moyens de contrôler les décisions des politiciens locaux. Ils utilisent l’accueil des JO pour faire ériger des infrastructures ou rénover un quartier urbain, pas indispensable pour les JO. 

Troisième explication: la préemption des budgets olympiques par des passagers clandestins. L’accueil des JO déclenche des demandes (rallonges) de subventions publiques plus ou moins justifiées (architectes, entreprises de BTP, hôtels, etc.). Dans le pire des cas entachées de corruption (Sotchi 2014, Rio 2016). Des déficits publics alimentent des profits privés.

Un coût dépassé ne crée pas nécessairement un déficit, car Preuss-Andreff (2019) ont repéré et analysé le dépassement des revenus des JO, qui peut compenser le surcoût; alors il n’y a pas de dette publique à rembourser (comme à Grenoble 1968, Montréal 1976, Albertville 1992, etc.). Mais le dépassement des revenus accentue le «gigantisme» des JO. 

Des choix atténueraient le dépassement du coût: équipements sportifs démontables, transférables; site géographique fixe (Olympie); candidatures limitées aux grandes villes déjà équipées; réduire la taille économique des JO; un audit externe en continu; règle de rotation géographique des sites hôtes (comme la FIFA); répartition des épreuves entre les sites de nations différentes (comme Euro 2020); procédure révisée d’accompagnement des candidatures par le CIO (depuis les JO d’hiver 2026).

Le dépassement ne peut être éradiqué que par: raréfaction des candidatures (à une seule); attribution des JO par tirage au sort (loterie) ; désignation discrétionnaire d’une ville hôte par le CIO. 

 

2/ L’impact économique des Jeux Olympiques

Une étude d’impact économique mesure un différentiel entre deux situations: avec et sans l’organisation des JO. Elle estime la valeur ajoutée nette apportée par les JO au territoire hôte par rapport au contrefactuel où les JO ne seraient pas localisés dans ce territoire (étude d’impact ex ante). Une étude d’impact ex post, après JO, estime la valeur ajoutée nette effectivement créée suite à une injection initiale (d’argent entrant) dans le territoire, principalement par le CIO et les touristes étrangers, puis ses effets induits sur l’économie du territoire hôte (à l’aide d’un multiplicateur d’impact). 

Un calcul d’impact rigoureux exige une méthodologique précise concernant le contenu de l’injection initiale, la définition du territoire impacté, l’horizon temporel (court/long terme) de l’estimation, et une valeur appropriée du multiplicateur (INSEE). Des biais méthodologiques à éviter sont: ne pas déduire les fuites hors du territoire (injection brute/nette); le double comptage du même flux (effet); ne pas prendre en compte l’effet de substitution et l’effet d’éviction; le choix d’un multiplicateur trop élevé. Sinon, surestimation de l’impact des JO. L’impact mesuré ex post est souvent inférieur à son estimation ex ante.

Pour les JO Paris 2024, la DIJOP (Délégation interministérielle aux Jeux Olympiques et Paralympiques) a initié 12 études d’impact, en cours (résultats pas disponibles), dont deux générales dont la méthodologie est suivie par l’Observatoire de l’économie du sport. Une étude d’impact réalisée en 2016 l’a estimé à long terme entre 5,3 et 10,7 milliards €. Chiffres à réviser avec un autre rythme d’inflation et un contexte économique international différent. 

Outre l’impact économique, l’attention se porte sur l’estimation de l’impact social et de l’impact environnemental des JO, pour Paris 2024:

  • . promotion d’une société inclusive et solidaire, parité hommes/femmes; équipements sportifs accessibles aux handicapés, attractivité de la Seine-Saint-Denis, reconversion des athlètes, augmentation de la pratique sportive des Français (effet de démonstration);
  • . empreinte carbone, % énergies renouvelables, consommation bio; espaces verts; recyclage des déchets; modes de transport; préservation de la biodiversité et qualité de l’air.

L’accent se déplace aussi vers l’héritage des JO. L’héritage «ce sont les structures planifiées ou non, positives ou négatives, tangibles ou intangibles, créées pour ou par un événement sportif et qui demeurent plus longtemps que l’événement lui-même» Preuss (2007). L’héritage est à long terme et les ‘héritiers’ sont les résidents du territoire hôte. Il nécessite une Analyse Coût Avantage, réalisée ex post, en s’appuyant sur une étude longitudinale, plutôt qu’une étude d’impact. 

 

3/ La prévision économique des médailles aux Jeux Olympiques de Paris 2024

L’équipe de France olympique a gagné 33 médailles aux JO de Tokyo 2021 (classée 10e), après 42 médailles aux JO de Rio de Janeiro 2016 (5e). En 2017, la Ministre des sports a annoncé l’objectif de «doubler le nombre de médailles» aux JO 2024 (80 médailles), révisé en baisse par la Ministre suivante à 70 médailles, et finalement reformulé (E. Macron): « se classer dans les 5 premières nations olympiques », repris par l’actuelle Ministre des sports. 

À Tokyo 2021, 5e Japon = 58 et 6e Australie = 46, la France a «sous-performé» avec 33 médailles: l’objectif annoncé est-il réaliste ?

Un modèle économétrique prévoit le nombre médailles olympiques gagnées par les nations participantes. D’abord, il explique les gains de médailles des JO d’été de 1992 à 2016 (1.289 observations) par des variables macro (socio-)économiques identifiées dans la littérature, en ajoutant des variables non prises en compte jusque-là. Ensuite, utilisé en prévision, il a détecté à l’avance 95% des résultats observés aux JO de Tokyo 2021. Sa variable expliquée est le nombre de médailles par pays après disqualifications et ses variables explicatives sont:

  • Population quatre ans avant (les JO) 
  • PIB par habitant quatre ans avant
  • Pays hôte
  • Régime politique (Pays d’Europe de l’Est Central qui ont rejoint l’UE ; Autres économies post-communistes ; Économies de marché capitalistes)
  • Régions (neuf catégories de pays)
  • Médailles après disqualifications quatre ans avant
  • Nombre d’athlètes
  • Pays hôte quatre ans après
  • Pays hôte quatre ans avant
  • Budget gouvernemental des sports quatre ans avant (significatif mais disponible pour 30 pays seulement donc exclu)
  • Climat (non significatif, exclu)
  • Genre (indice d’inégalité, non significatif, exclu)

La prévision pour l’équipe de France aux JO de Paris 2024 est centrée sur 47 ou 48 médailles; selon différentes techniques de test économétrique, la France gagnera entre 43 et 60 médailles et devrait terminer entre la 5e et la 7e place. Ses concurrents directs pour la 5e place sont le Japon (hôte 2021) et l’Australie. Pour la 5e place, on croise les doigts !

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