Sanctions économiques internationales : le retour

Par Michel Fouquin, Conseiller au CEPII

A l’époque de la montée des populismes dans les démocraties occidentales, du terrorisme proche-oriental, et des relents de nouvelle guerre froide entre la Russie et l’Occident, l’usage des sanctions économiques connait un regain d’actualité et d’attention.
A dire vrai les sanctions économiques pour faire plier ou simplement affaiblir un adversaire ont une très longue histoire; que l’on se souvienne seulement des relations franco anglaises : de la guerre de cent ans à Waterloo elles ont été presque constamment prohibées et, dès qu’elles ont été levées, elles sont devenues les plus intenses du monde du XIXème siècle.

Le temps de la Pax Americana1
A la fin de la première guerre mondiale et de la première mondialisation, Woodrow Wilson déclare qu’une nation soumise au boycott ne pourra résister à une telle sanction et qu’ainsi la guerre sera évitée. On connait la suite de l’histoire et de la Société des Nations incapable de stopper la course à la seconde guerre mondiale.
En 1944 la création des institutions de Bretton Woods, autour de l’Organisation des Nations Unies, de la Banque Mondiale et du FMI, apporte de nouveaux espoirs de gouvernance pacifique, de développement économique et de stabilité du monde. En particulier elle endosse le rôle de coordination internationale des sanctions économiques et d’intervention militaire (casques bleus), sous la condition que son Conseil de sécurité lui donne son approbation.
La guerre froide entre l’Occident et la Russie soviétique aboutira à la paralysie de l’ONU, qui conservera cependant un rôle important dans le mouvement de décolonisation. Au cours de cette période ce sont les Etats-Unis qui imposent leurs vues et la pax americana par toutes sortes de moyens : sanctions économiques, déstabilisation des régimes politiques qui lui sont hostiles, interventions armées etc. L’intervention en Corée sera longtemps la seule menée au nom des Nations Unies (du fait de l’absence de l’URSS à la réunion du Conseil de sécurité décidant cette intervention).
La première puissance économique du monde, soutenue ou non par le Royaume–Uni et -parfois par la France-, a les moyens de sa politique (suspension de l’aide économique, interdiction des investissements des entreprises américaines, blocage des exportations de pétrole et de matières premières qui sont souvent les seules ressources des pays pauvres, etc.), et obtient quelques succès de 1945 à 1970 : succès dans 53% des cas de sanctions multilatérales et dans 69% des cas de sanctions unilatérales. Ce taux de réussite chute drastiquement dans la période de 1971 à 1990, respectivement à 21 et 13%. Surtout on s’aperçoit que les sanctions ont un effet boomerang sur les exportations des Etats-Unis et le développement de leurs multinationales. Cela leur coute presqu’aussi cher qu’à leurs ennemis qui trouvent, au temps de la globalisation, de plus en plus de moyens de contourner les embargos.
Le seul grand succès à mettre au crédit des sanctions économiques est sans doute l’abolissement de la politique d’apartheid en Afrique du Sud obtenu après 25 années de luttes intenses, internes et externes (1976-1990).

Le temps des smart sanctions (sanctions ciblées)2
La chute du mur de Berlin est une catastrophe pour beaucoup de pays du bloc soviétique, Corée, Vietnam et Cuba en particulier. Pour les pays de l’Europe centrale c’est l’occasion de rejoindre l’Europe et de bénéficier d’importants moyens financiers pour leur modernisation. Les Nations Unies retrouvent alors un rôle majeur et sont notamment en pointe dans l’opposition à Saddam Hussein et à la mise en place en 1990 d’un embargo sévère. On s’aperçoit alors que ces sanctions aggravent dramatiquement des conditions de vie de populations innocentes, on chiffre à un million cinq cent mille les victimes civiles de l’embargo sans atteindre les élites du régime. En 1996 un programme « Oil for Food » est mis en place qui donnera lieu à de multiples affaires de fraude et de corruption, c’est un échec grave pour l’ONU.
Dès lors on va s’intéresser au ciblage des sanctions. On peut les classer par catégorie : contre la prolifération nucléaire (Corée du Nord et Iran), contre les trafics d’arme, contre le trafic de drogue, contre le terrorisme et contre l’évasion fiscale. Objectifs qui sont très souvent entremêlés et les chiffres d’affaires de ces différents secteurs peuvent être colossaux.

Retrouvez Michel Fouquin aux Jéco 2016 sur Les sanctions économiques : des habits neufs, une efficacité toujours contestée et La Chine a-t-elle fini ses 30 glorieuses ?

1 Kimberly Ann Elliott. 1997. Evidence on the Costs and Benefits of Economic Sanctions, Peterson Institute for International Economics.
2 Arne Tostensen et Beate Bull. 2002. Are Smart Sanctions Feasible? World Politics, n°54, pp. 373-403.

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