Les Entretiens de l’AFSE racontent l’histoire de la preuve dans les sciences économiques comme Agatha Christie rédige ses romans !

Claude Diebolt, Directeur de Recherche au CNRS à l’Université de Strasbourg et Président de la Section 37 (Economie et Gestion) du Comité National de la Recherche Scientifique

[…] Ce ne sont pas les effets des causes les plus connues, ni les causes des effets les plus manifestes, qui ont d’ordinaire le plus d’importance. «Ce que l’on ne voit pas» mérite souvent beaucoup plus d’être étudié que «ce que l’on voit.» (Alfred Marshall (1906), Principes d’économie politique, Tome Premier, Paris, V. Giard & E. Brière, p. 136).

Les Entretiens de l’AFSE racontent l’histoire de la science économique comme Agatha Christie rédige ses romans ! Au regard du panel, nous aborderons le rôle de la théorie, de l’histoire (la cliométrie), de la statistique (l’économétrie) et de l’expérimentation dans la formulation de preuves en sciences économiques.

 En somme, notre objectif, dans la philosophie du 10ème anniversaire des Journées de l’économie, vise à comprendre le passé pour construire l’avenir ; à définir comment aujourd’hui, plus qu’hier ou riche des enseignements du passée, aboutir à l’établissement de connaissances valides, si ce n’est aboutir à des vérités pour notre discipline. Comment lever les doutes avec un semblant de certitude ? Un échange autour de la formulation des hypothèses, des méthodes, des démonstrations, expérimentations, validations empiriques, réplications, vérifications etc. nous permettra d’avancer dans la réflexion. Puisque notre propos sera aussi le reflet de nos propres croyances (ou différences), chacun des interlocuteurs sera en première ligne pour parler de son propre champ de compétence. En économie, comme chez Agatha Christie, il y a toujours un problème à résoudre. Chez Christie ce problème naît, le plus souvent, de la découverte d’un cadavre auquel il faut associer un certain nombre d’observations considérées comme établies, le lieu où on a trouvé le cadavre, son aspect, son identité, sa position, l’heure de la découverte. En somme, il y a un phénomène à expliquer. Pour y parvenir, l’on procède par accumulation d’indices… par la recherche de preuves ! Intervient alors Hercule Poirot. Ce personnage mythique entre en scène en exprimant ouvertement ses soupçons pour ceux de ses collègues qui partent à la chasse aux indices, à quatre pattes et la loupe à la main. Lui, au contraire, entre deux conversations et une brève inspection des lieux du crime, se cale dans son fauteuil et réfléchit. Un certain nombre de faits l’intriguent et retiennent son attention. Il construit alors diverses explications et les rejettent aussitôt parce qu’elles sont en contradiction avec les observations établies. Après quelque temps, une sorte d’inspiration vient : une théorie se forme dans son esprit qui, a priori, correspond à l’ensemble des faits observées. A ce stade de l’investigation Hercule Poirot se met en mouvement. Il recourt au télégraphe, utilise son téléphone etc. Quelle est son intention ? Ce n’est évidemment qu’à la fin du livre que l’on comprend que ces appels mystérieux avaient pour objectif de confronter certaines des implications logiques de sa théorie à un monde de faits non considérés jusque-là. Si, contrairement à ce que l’on pensait, Monsieur X a été marié une première fois, lors de son séjour aux Bermudes, alors une petite enquête dans le registre des mariages de cette contrée s’avère opportun. Certes, il n’est pas possible de juger qu’Hercule Poirot conçoive toujours les tests dans cette perspective. Par analogie, il n’est pas possible d’attendre de tous les économistes qu’ils entreprennent sans cesse de soumettre à des tentatives de réfutation l’explication qu’ils viennent d’échafauder. Dans l’enquête policière comme dans l’investigation scientifique en général, l’échange collectif est là pour cela. Les policiers, suspicieux des capacités d’Hercule Poirot, les avocats, l’accusé, les jurés, essaieront de formuler des objections à la théorie du trop célèbre détective. Ils tenteront de montrer qu’elle contient une erreur de raisonnement ou qu’une de ses implications est en contradiction avec la réalité. Ce schéma de raisonnement permet de formuler nombre de commentaires pour la science économique. Nous en relevons trois : le phénomène à expliquer apparaît au bout du processus, en conséquence de la théorie ; cette dernière doit être compatible avec les faits observés ; elle doit être empiriquement réfutable, ou testable, ou falsifiable. Notre exemple policier, nous donne ainsi une illustration de ce qui est un avantage essentiel de la théorisation scientifique en science économique : orienter l’observation vers des régions auxquelles personne ne songeait. Qui aurait eu l’idée d’aller examiner les registres de mariage des Bermudes à l’occasion d’un crime commis dans la banlieue de Londres ? Hercule Poirot, parce que sa théorie justifiait une telle démarche de consolidation des preuves !

Retrouver Claude Diebolt sur la conférence des Jéco 2017 La preuve dans les sciences économiques – Entretiens AFSE

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