Pourquoi la régulation financière n’a-t-elle pas assez progressé depuis la crise ?

Par Jézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie (Université Paris 1)

Jézabel Couppey-Soubeyran

Les années qui ont suivi la crise financière de 2007-2008 ont incontestablement été l’occasion de renforcer la réglementation et la supervision bancaire et financière. Pour autant, le progrès réalisé a-t-il été suffisant pour stabiliser le système financier ? La crainte lancinante d’une prochaine crise financière, sur fond de turbulence du marché monétaire américain à l’automne obligeant la Fed à intervenir à plusieurs reprises, fournit la réponse. Les raisons de cette insuffisance ne sont pas tant d’ordre technique. Elles tiennent avant tout à la façon dont la régulation reste conçue et perçue : elle se veut un pare-choc bien plus qu’un régulateur de cycles et de comportements financiers, toujours plus complexe, et dans la crainte entretenue par le lobby bancaire qu’une plus grande stabilité financière ne réduise la performance du secteur. C’est cela qui entrave son progrès et donc cela aussi qu’il faudrait arriver à changer.

Un pare-choc, sous la forme de coussins de fonds propres ou de réserves d’actifs liquides, sans même discuter de son épaisseur, ne peut suffire à prévenir l’instabilité financière, car celle-ci n’est pas le produit de « chocs » qui tombent du ciel. Hyman Minsky, qui aurait eu 100 ans cette année, a tout au long de ses travaux montré que l’instabilité est inhérente au fonctionnement du système financier qui suit une dynamique cyclique bien plus ample que celle du cycle des affaires. L’amplitude du cycle financier est le produit d’emballements qui s’auto-renforcent dans la phase ascendante, entre crédit et prix immobiliers par exemple, et de reflux dans la phase descendante qui s’auto-alimentent tout autant. Lutter contre l’instabilité financière implique de réguler ce cycle. Les réformes ont-elles livré les instruments pour le faire ? Mis à part un tout petit coussin contracyclique de fonds propres introduit dans le cadre des accords de Bâle 3, la réponse est non. Des institutions ont beau avoir éclos, chargée de prévenir et d’atténuer le risque systémique, comme le CERS en Europe, ou le HCSF en France, elles n’ont pour le moment guère les moyens d’agir. La réglementation et la supervision des banques demeurent surtout micro-prudentielles, tournées vers la prévention des risques individuels, et pas encore assez macroprudentielles, donc pas de nature à prévenir le risque systémique.

Qui plus est, la complexité des dispositifs prudentiels sautera aux yeux de quiconque s’attelle à la lecture d’un accord bâlois. À un système financier complexe, le régulateur entend répondre par des instruments complexes. Le ratio de fonds propres, que les accords de Bâle, ont fait évoluer, de Bâle I à Bâle III en passant par Bâle II, fournit un bon exemple. Le ratio pondéré, qui rapporte l’exigence de fonds propres aux actifs pondérés par les risques, a depuis sa création la préférence d’une majorité de superviseurs bancaires réunis à Bâle. Pas celle des Américains ni des Canadiens, mais suffisamment celle de tous les autres, pour que, même dans le cadre des accords de Bâle III, en dépit de la remise en cause des modèles internes d’évaluation de risques hautement manipulables du fait de leurs milliers de paramètres, le ratio pondéré soit demeuré la norme, au lieu du ratio de levier, simple rapport entre fonds propres et total des actifs, plus aisément calculable et vérifiable. Les 12,7 % de ratio pondéré qu’affichent en moyenne les grandes banques internationales en disent moins sur leur solidité que leur 6 % de ratio de levier (source des chiffres : Basel III Monitoring Report, Octobre 2019).

Et enfin, tant que les régulateurs resteront captifs du discours du lobby bancaire selon lequel tout ce qui améliore la stabilité financière réduit forcément la performance du secteur, alors même qu’il en va du bon fonctionnement du système, ils s’en tiendront à la politique du petit pas. De petits pas qui ne suffisent pas.

Retrouvez Jézabel Couppey-Soubeyran lors des conférences : "La confiance perdue dans les expert-e-s" et "A-t-on vraiment progressé sur la régulation financière ?"

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