Taxer les robots, une fausse bonne idée ?

Par Céline Antonin, Xavier Jaravel d'après un article d'Aghion, Antonin, Bunel et Jaravel (2020), «What Are the Labor and Product Market Effects of Automation? New Evidence from France». pour la conférence "Quel impact des robots sur l’emploi ?"

Cette conférence n'étant pas en direct, vous pouvez envoyer vos questions aux intervenants à cette adresse mail : jeco@fpul-lyon.org avant le 4/11/2020. (mettre en sujet du mail « Question : Quel impact des robots sur l’emploi ? »).

 

L’automatisation détruit-elle l’emploi ? Pour tenter de répondre à cette question, nous utilisons des données d’entreprises issues du secteur industriel français sur la période 1994-2015. Nous parvenons à la conclusion suivante : l'impact de l'automatisation sur l'emploi est positif, il est même croissant au cours du temps, et concerne tous les types d’emplois, des plus qualifiés aux moins qualifiés. Autrement dit, au sein d’une usine ou d’une entreprise, l’automatisation crée davantage d’emplois qu’elle n’en détruit. A la lumière de ces résultats, taxer les robots apparaît comme une fausse bonne idée : cela risque de saper la compétitivité des entreprises, et d’entraîner une baisse de l’emploi en France.

La crainte de voir les machines remplacer les humains est très ancienne. Dès 1589, lorsque l’Anglais William Lee invente la machine à tricoter, il est confronté à l’hostilité de la population ouvrière, et au refus de la reine Elizabeth Ire de lui délivrer un brevet. Cette dernière redoute en effet que cette nouvelle machine ne réduise ses sujets au chômage et ne les précipite dans la misère. La méfiance vis-à-vis du progrès technique a perduré, et a ressurgi avec force au moment de la généralisation du métier à tisser, en 1811-1812, donnant lieu à la révolte des luddites. Les artisans du textile, ayant pour chef de file Ned Ludd, se sont violemment opposés aux manufacturiers qui souhaitaient mécaniser leur processus de production en détruisant les métiers à tisser, et cette insurrection a fini par être réprimée dans le sang. Par la suite, dans les années 1920-1930, eut lieu la deuxième révolution industrielle, avec l’invention de l’électricité, à l’occasion de laquelle Keynes lui-même prévoyait l’apparition du chômage technologique et du chômage de masse. Pourtant, l’emploi a de nouveau tenu bon.

Aujourd’hui, avec la double révolution des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et de l’intelligence artificielle, les craintes de hausse du chômage sont décuplées, dans la mesure où cette révolution permet l’automatisation de tâches toujours plus nombreuses et plus complexes: consultations médicales, conduite de voiture, conseil à la clientèle… Certaines études alarmistes comme celle de Frey et Osborne (2017), qui annonçait que 47% des emplois américains seraient fortement menacés dans les dix années à venir, ont alimenté ces craintes. D’où l’idée émise par certains de la nécessité de taxer les robots.

Dans une étude récente (Aghion, Antonin, Bunel et Jaravel, 2020), nous examinons le lien entre automatisation et emploi, à partir de données d’entreprises et d’usines qui couvrent l’ensemble du secteur industriel français sur une période de 20 ans (1994-2015). L’automatisation des usines est appréhendée à partir de plusieurs mesures, sur la base des registres comptables et de la consommation électrique des moteurs utilisés dans la chaîne de production. Les conclusions sont sans appel : quelle que soit la mesure utilisée, l'impact de l'automatisation sur l'emploi est positif, et croît même au cours du temps. Ainsi, une augmentation de 1 % de l’automatisation dans une usine augmente l’emploi de 0,25 % au bout de 2 ans et de 0,4 % au bout de 10 ans (figure 1). Cet effet demeure positif quel que soit le type d’emploi, qualifié ou non. Autrement dit, l’automatisation crée davantage d’emplois dans l’usine qu’elle n’en détruit, contrairement aux idées reçues. D’autres études parviennent aux mêmes conclusions dans d’autres pays, notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne, le Canada, et les pays scandinaves.

Figure 1 : Impact de la variation de l’automatisation sur la variation de l’emploi au niveau de l’usine (Source : Aghion, Antonin, Bunel et Jaravel (2020))

Cette relation positive entre automatisation et emploi au niveau de chaque usine s’explique par l’effet de productivité accrue des entreprises qui automatisent davantage leur processus de production. Cet avantage technologique leur permet de gagner des parts de marché car ces entreprises offrent un meilleur rapport qualité-prix que leurs concurrentes. Ce gain en parts de marché les conduit à opérer à plus grande échelle, et donc à embaucher. L’automatisation n’est donc pas en soi l’ennemie de l’emploi. En permettant une modernisation de l’appareil productif, elle rend les entreprises plus compétitives, ce qui leur permet d’acquérir de nouveaux marchés et par suite de recruter de nouveaux salariés, tout en contribuant à augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs. Le cas de l’Allemagne est emblématique : l’adoption de robots y est plus fréquente, l’emploi industriel plus élevé, et le chômage plus faible.

Taxer les robots en France serait donc un pari risqué. Cela saperait la compétitivité de nos entreprises, au bénéfice de leurs concurrentes qui robotisent à l’étranger : en résulterait vraisemblablement une baisse de l’emploi en France.

Cette conférence n'étant pas en direct, vous pouvez envoyer vos questions aux intervenants à cette adresse mail : jeco@fpul-lyon.org avant le 4/11/2020. (mettre en sujet du mail « Question : Quel impact des robots sur l’emploi ? »).

 

Référence :
P. Aghion, C. Antonin, S. Bunel et X. Jaravel (2020), « What Are the Labor and Product Market Effects of Automation? New Evidence from France ». Centre for Economic Policy Research, DP 14443.

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