Penser le monde de demain

Par Philippe Aghion intervient sur les conférences "Voir le monde autrement" et "Les économistes face à la prochaine pandémie"

En premier lieu la Covid-19 va entraîner des destructions d’emplois et des faillites d’entreprises en masse, en même temps qu’elle ouvre un espace pour de nouvelles activités innovantes. Nombre d’entre nous ne prendrons plus l’avion autant qu’avant, tant nous sommes devenus « addict » aux visioconférences par Zoom qui font gagner beaucoup de temps et nous évitent le stress des voyages. En outre les consommateurs que nous sommes ne perdront pas l’habitude prise pendant le confinement de commander en ligne, et les travailleurs que nous sommes ont, grâce au confinement, découvert les mérites du télétravail. Enfin, nous sommes initiés à la pratique des consultations médicales par téléphone ou par Skype.

Ce surcroit de « destruction créatrice » que génère la pandémie, pose un défi majeur aux pouvoirs publics. D’un côté, il faut protéger : soutenir les entreprises viables pour sauver des emplois et préserver le capital humain accumulé au sein de ces entreprises. D’un autre côté, il faut « réallouer » : encourager l’entrée de nouvelles entreprises et de nouvelles activités, soit plus performantes soit qui répondent mieux aux nouveaux besoins des consommateurs.

En second lieu, la crise du Covid a agi comme un « révélateur » de problèmes plus profonds qui questionnent le capitalisme tel qu’il est pratiqué dans les différents pays du monde. En Chine, la pandémie a révélé les limites d’un capitalisme sans liberté d’expression, ou la rétention d’information et l’autocensure ont retardé la prise de conscience de la dangerosité du nouveau virus, ce qui a grandement contribué à sa prolifération. Aux Etats-Unis, l’épidémie a mis à nu le drame de tous ces individus qui ne sont pas - ou mal - assurés contre une perte d’emploi et contre la maladie. En Europe, elle a mis en lumière l’insuffisance de notre écosystème d’innovation : nous disposons de moyens bien inferieurs a ceux qui sont mobilisés aux Etats-Unis et en Chine pour trouver de nouveaux traitements et de nouveaux vaccins.

En France, la pandémie a montré la vulnérabilité d’une économie qui est allée trop loin dans la délocalisation de ses chaines de valeur, y compris dans des secteurs stratégiques comme la santé : nous avons chèrement payé notre incapacité a produire des respirateurs ou des principes actifs sur notre sol, par contraste avec notre voisin allemand. Par ailleurs la crise de la covid-19 a fait apparaître les limites d’un Etat français trop centralisé, trop bureaucratique, et qui ne fait pas assez confiance à la société civile. Cette confiance est indispensable pour mettre en oeuvre une véritable politique de santé publique qui se substitue à la politique actuelle de « Stop and Go » qui nuit a la croissance de long terme. Cette harmonie avec la société civile est également indispensable, nous l’avons vu avec la crise des gilets jaunes, au succès d’une politique de lutte contre le réchauffement climatique et pour la croissance verte. Plus généralement, peut-on tirer parti de cette crise pour améliorer notre modèle économique et social en conjuguant les aspects positifs des différents modèles de capitalisme ? Peut-on converger vers une croissance plus verte et plus juste ? Si l’on ne peut pas prévoir à l’avance comment nos sociétés évolueront dans le futur, on peut néanmoins reprendre les mots d’Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va nous arriver, mais ce que nous allons faire ».

origine du blog
Auteurs du billet