Vers un grand conflit intergénérationnel ?

Par Alain Denizot intervient sur la conférence : "Vers un grand conflit
intergénérationnel
".

La Caisse d’Epargne Rhône Alpes accompagne les Journées de l’Économie depuis leur création en 2008. Au-delà du soutien financier, la Caisse d’Epargne Rhône Alpes est un partenaire actif et s’associe à l’événement en apportant du contenu à différentes conférences. Alain Denizot, son Président du Directoire, intervient le 19 novembre, dans le cadre de la conférence : « Vers un grand conflit intergénérationnel ».

Dans ce contexte de crise sanitaire, économique et écologique, les conflits de générations – même s’ils ne sont pas nouveaux - s’annoncent de plus en plus forts. Dans un message adressé aux jeunes ce 1er novembre 2020, le Premier ministre se veut rassembleur : « Ce qui nous unit est infiniment plus important que ce qui nous divise » ! Ce message est révélateur de l'importance que prend ce sujet dans le débat public.

Dans les pays de l’OCDE, le conflit le plus médiatisé oppose les seniors actuels, ceux de la génération dorée des babyboomers, nés entre 1943 et 1957 et qui ont connu la période des « 4P » : la Paix, le Plein emploi, la Prospérité et le Progrès, aux générations plus jeunes (X, Y et Z).

Face à un sentiment d’injustice, accusés de propager l’épidémie du coronavirus, les jeunes mettent en balance les sacrifices qu’ils ont consentis pour protéger leurs aînés, alors qu’ils seront les plus touchés sur divers plans notamment le social et l’économique.

Les peurs d’un accroissement des inégalités entre générations n’ont jamais été aussi vives. Les réseaux sociaux véhiculent l’idée que les jeunes sont lésés par rapport à leurs anciens qui, de plus, sont responsables de leur sort, compte tenu de leur pouvoir économique, de leur poids électoral et de leur impact sur l’épuisement des ressources de la planète et sur l’inéluctable réchauffement climatique.

Jusqu’à quand jeunes et plus âgés continueront de souscrire au contrat intergénérationnel ?. En France, les relations intergénérationnelles souffrent aujourd’hui d’un environnement économique défavorable en terme d’opportunités et de perspectives pour les jeunes, qui, en outre, s’aperçoivent que leurs aînés sont plus aisés et, à leur sens, surprotégés. En parallèle, la récession va mécaniquement diminuer les recettes fiscales, ce qui présagerait une baisse inévitable des dépenses publiques au profit des personnes âgées (santé, retraite).

 

L’économiste André Masson explique que « les cadets semblent vivre les phases cruciales de leur existence avec retard : l’indépendance, l’entrée sur le marché du travail, l’accession à la propriété, la mise en couple, les enfants, l’héritage… sans compter une retraite éventuellement différée ». Ainsi, la question des retraites revient souvent au coeur du débat public, s’agissant de l’équilibre des dépenses et de la pérennité d’un système par répartition qui est pourtant la meilleure expression de la solidarité intergénérationnelle. À l’origine de ce problème, une croissance économique insuffisante et un vieillissement démographique qui remettent en question le postulat de départ d’un enrichissement continu des générations, base du contrat intergénérationnel de redistribution en France qui garantit la sécurité sociale de nos aînés. Sans surprise, le dernier projet de réforme du système propose une limite à la retraite par répartition à la part des salaires inférieurs à 10 000 € (au profit de la capitalisation pour la part au-delà de ce seuil).

Fragilisant les entreprises en premier lieu, la crise Covid-19 va amplifier le chômage déjà assez élevé, la précarité et l’ubérisation de l’emploi, et va amoindrir les perspectives de croissance des salaires.

Depuis le début de cette crise, les autorités politiques et monétaires maintiennent, à coup de milliards, l’économie sous perfusion. Dans le cadre du plan de relance - visant à redresser une économie confrontée à la pire récession de son histoire - la Commission va emprunter 750 Mds € au nom de l'Union européenne. Une nouvelle dette à horizon 2058 est née. En France, le gouvernement français a prévu un "Plan jeunes" de 6,5 Mds €. Si ces mesures sont indispensables, l’augmentation de la dette publique constituera une charge fiscale lourde, à moins qu’une très forte croissance soit au rendez-vous. « Il faudra rembourser », a prévenu le Gouverneur de la Banque de France.

Dans ce conflit, le facteur écologique pèse désormais autant que le facteur économique. La société a pris pleinement conscience des menaces imminentes et surtout de la corrélation entre ressources naturelles et croissance. Force est de constater qu’on a failli collectivement aux obligations intergénérationnelles que résume parfaitement ce fameux proverbe : « Nous n’héritons pas la Terre de nos ancêtres ; nous l’empruntons à nos enfants »

Dans ce champ intergénérationnel, les disparités dans la répartition du patrimoine et dans l’accès au crédit représentent un enjeu fort. Depuis début 2020, la distribution plus prudente du crédit – levier principal pour la constitution d’un patrimoine – va restreindre l’accession à la propriété pour les jeunes. Ceci découle des recommandations du Haut Conseil de Stabilité Financière en matière d’octroi de crédit qui – malgré leur bien-fondé pour la prévention des risques systémiques du marché immobilier résidentiel – risquent de pénaliser les jeunes davantage que les investisseurs. À ces nouvelles contraintes s’ajoute l’augmentation continue du prix des actifs, conséquence indésirable des politiques monétaires alors même que la stabilité des prix relève du mandat des banques centrales. En effet, si le maintien des taux bas a facilité la production du crédit immobilier, ceci a paradoxalement généré une tension forte sur les prix. À l’échelle d’un projet unitaire, ces deux phénomènes tendent à se compenser à l’exception de certaines villes où des bulles se sont créées.

D’autre part, il faut se rappeler qu’avec le risque déflationniste qui plane, un des effets positifs du mécanisme de la dette va s’inhiber : la réduction de la dette par l’inflation.

Si l’accumulation de patrimoine par les ménages est une tendance historique, elle devient de plus en plus concentrée – plus de 60% du patrimoine total – entre les mains des seniors (plus de 60 ans, soit un quart de la population) avec une épargne investie principalement dans des actifs peu risqués (livrets d’épargne, assurance-vie et immobilier). Cette sur-épargne, trop investie dans l’immobilier (60% du patrimoine total) et l’assurance vie (15%) est préjudiciable au fonctionnement de l’économie parce qu’elle s’accompagne d’une baisse inquiétante de l’investissement. Or, de ces choix structurants de placements, va dépendre la qualité du tissu productif auquel auront accès les générations les plus jeunes dont le travail va en retour financer les pensions de retraite.

Du point de vue des banques, celles-ci sont tenues appliquer les politiques économiques et fiscales en matière de circulation du patrimoine entre les générations (à travers les processus de successions), mais elles jouent un rôle plus proactif lorsqu’il s’agit du choix d’allocation de l’épargne et in fine dans la possibilité de la transformer en capital productif ou dans un actif de la finance durable. Le secteur bancaire a également un rôle structurant dans les opérations de cessiontransmission des entreprises. Nul ne doute que ce mécanisme constitue un pilier du maintien de notre tissu productif, d’autant plus dans un contexte de vieillissement de la population des patrons, qui vont tendre à désendetter leur entreprise afin de la céder, et induire in fine un sous-investissement pouvant conduire à un ralentissement de la croissance. Ceci confirme l’importance que revêt les transferts en capital le moins tard possible vers des générations plus jeunes, plus susceptibles d’investir dans des projets de long terme.

Pour conclure, mon parcours en entreprise m’amène à témoigner d’une dernière dimension du conflit intergénérationnel, qui est celle au travail, où cohabitent au sein d’une même entreprise plusieurs générations aux aspirations et aux méthodes de travail différentes (notamment pour les "digital native")... Un champ de recherche très riche pour différentes disciplines du management.

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