L’illusion de la finance verte

Par Alain Grandjean qui intervient sur "Encastrer l’économie dans l’écologie ?" et "Climat : mais que fait la finance ?"

En septembre 2015, Mark Carney, président du Conseil de stabilité financière, tient un discours exceptionnel à la Lloyd’s de Londres : répondant à une demande formelle des ministres des finances du G20, il affirme que le réchauffement climatique présente des risques systémiques pour le système financier.

Mais, de manière sans doute surprenante pour les non-initiés, ses recommandations se limitent à la nécessité de mieux informer les acteurs financiers de ces risques. S’enchaînent alors diverses initiatives. En 2015, une obligation de reporting des risques financiers liés au climat est imposée par la législateur français aux acteurs financiers. Puis, le Conseil de stabilité financière lance à la demande du G20 la Task Force on Climate- related Financial Disclosures (TCFD) un groupe de travail qui a proposé un cadre international de reporting des entreprises afin que les investisseurs puissent mieux évaluer et rendre compte des risques financiers liés au climat portés par les sociétés dans lesquelles ils investissent.

Au niveau européen, la Commission mandate un autre groupe de travail pour faire des propositions visant à développer une stratégie de finance durable à l’échelle européenne. Cela donnera lieu au lancement début 2018 d’un plan d’action pour la finance durable. Une série de directives et de règlements ont été adoptés depuis ou sont en cours visant à mettre en œuvre un marché financier européen “unique” et “vert”.

Ces initiatives ont mis un coup d’accélérateur et de projecteur sur la finance durable (dite souvent finance verte). À un point tel qu’on peut être frappé aujourd’hui du fait que la finance durable est de plus en plus présentée comme pouvant “sauver le climat”. De même, les montants qu’elle brasse au niveau mondial sont généralement présentés comme considérables.

LA FINANCE VERTE OU DURABLE NE PEUT PAS FONDAMENTALEMENT TRANSFORMER LE SYSTÈME FINANCIER
Il ne s’agit pas de nier les efforts de ceux qui financent de bons projets, vraiment durables, ni des équipes RSE des établissements concernés qui cherchent à faire de la pédagogie sur les limites planétaires et les inégalités sociales.

Les appels aux banques à cesser de financer l’industrie fossile sont aussi utiles. L’illusion consiste à croire que, par elle-même, la finance va devenir durable et nous sauver du désastre écologique en cours. En voici quelques raisons.

1- L’effort d’information proposé par Mark Carney repose fondamentalement sur l’idée d’efficience des marchés : ils alloueraient les capitaux de manière optimale, sous réserve d’être bien informés.
Cette idée est tout simplement fausse dans sa généralité. Il règne au contraire dans le domaine financier, une loi d’airain, celle du couple rendement-risque. Ceux dont le métier est de gérer l’argent des autres ont en outre une obligation fiduciaire. Penser qu’elle pourrait être contournée par des considérations qualitatives, morales, de réputation ou autres, est complètement infondé. C’est d’ailleurs ce qui explique la “tragédie des horizons” chère à Mark Carney.

2- Les obligations vertes, le produit phare de la finance verte, constituent un bon exemple de la confusion dans laquelle nous met leur promotion commerciale.
D’une part, même si leur croissance est réelle, elles ne représentent qu’une toute petite partie des émissions obligataires ; d’autre part, elles n’ont souvent de vert que le nom. Enfin et surtout, elles ne sont en fait pas différentes des obligations ordinaires ... Elles ne peuvent pas constituer un outil de transformation du marché obligataire en faveur de la transition.

3- Tant que l’économie fossile et la spéculation seront rentables il y a aura toujours des acteurs financiers pour y investir.
Pour que s’arrête le financements des activités “non durables”, il faut des lois, des normes, des règlements, des obligations, des interdictions, des sanctions civiles ou pénales, des incitations fiscales fortes.

Dans le cas inverse, la loi d’airain fera son effet : il existera toujours des financiers pour investir dans les activités écologiquement destructrices et rentables ; certains choisiront de se spécialiser dans le “vert” s’il est rentable – qui restera une niche tant que des mesures sérieuses ne seront pas prises-. La profession dans son ensemble choisira de mettre en avant et en valeur ce qui est “dans l’air du temps”, créant l’illusion que la finance verte est bien plus importante que dans la réalité.

4- L’essentiel de l’activité financière se passe sur le marché secondaire donc ne finance pas l’économie
L’activité principale des gestionnaires d’actifs – une “tribu” qui pèse dans le monde financier [7] – ne manipule pour l’essentiel que des flux “secondaires” et par ailleurs majoritairement de manière passive, en suivant des indices. L’activité réelle est financée soit par le crédit bancaire, soit dans le marché primaire (d’émissions obligataires, de mises en bourse, ou d’augmentations de capital). Le marché secondaire dans lequel les titres s’échangent, après leurs émissions, ne finance pas l’économie réelle. Qu’il soit vert ou pas ne change rien ou presque à l’économie réelle.

Croire l’inverse c’est croire que les “investisseurs” particuliers ou autres sont susceptibles d’accepter de perdre des espoirs de rendement au motif que cela sauverait la planète, et croire en plus que la baisse éventuelle du cours d’une action pour ce motif changerait la stratégie des dirigeants.

Conclusion.
Les initiatives des acteurs de la finance durable doivent impérativement être insérées dans un ensemble de dispositifs de réglementations publiques puissantes sans lesquelles elles ne pourront pas contribuer significativement à la transformation nécessaire de nos économies.

origine du blog
Auteurs du billet