L'urgence : l’insécurité alimentaire en Afrique

Antoine Bouët

Par Antoine Bouët (CEPII) et Leysa Maty Sall (CEPII) qui interviennent sur la conférence des Jéco 2023 : Agir sur l’urgence alimentaire en Afrique

En 2022, près de 342 millions d’Africains souffrent d’insécurité alimentaire grave, soit 74 millions de plus par rapport à 2019. À l'heure où les défis mondiaux (conflits, chocs économiques, sanitaires et climatiques) se multiplient, il est urgent d’agir contre l'insécurité alimentaire en Afrique.

Une faim stable dans le monde mais en hausse en Afrique, une insécurité alimentaire persistante …

 Leysa Maty Sall

Selon le sommet mondial de l’alimentation de 1996, « la sécurité alimentaire existe lorsque tous les peuples ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Cet aspect pluridimensionnel se mesure à travers plusieurs indicateurs complémentaires.

Tout d’abord, sous l’angle de la disponibilité alimentaire, la prévalence de la sous-alimentation mesure la proportion de la population qui consomme une quantité de nourriture insuffisante ne satisfaisant pas les besoins calorifiques. La tendance globale plus ou moins stable de la faim au niveau mondial (autour de 9 pour cent) cache des disparités. En 2022, la prévalence de la sous-alimentation en Afrique a continué d’augmenter, passant de 19,4 pour cent en 2021 à 19,7 pour cent (11 millions de personnes en plus en 2022 et 57 millions en plus par rapport 2020). L’Afrique avait réduit la sous-alimentation dans la dernière décennie (Figure 1), mais depuis 2015, elle est repartie à la hausse de 15,8 pour cent en 2015 à 19,7 pour cent en 2022.

Figure 1 : Prévalence de la sous-alimentation

Source: FAO 2023. FAOSTAT: Données de la sécurité alimentaire.

On peut aussi, avec des enquêtes individuelles, mesurer l’insécurité alimentaire vécue, soit la proportion de la population connaissant des difficultés à se procurer des aliments de bonne qualité et en quantité suffisante. Après une forte augmentation entre 2019 et 2020, la prévalence mondiale de l’insécurité alimentaire « modérée ou grave » est demeurée stable pour la deuxième année consécutive, mais est restée bien supérieure au niveau enregistré avant 2020.

L’insécurité alimentaire a donc augmenté en Afrique ces dernières années.

Figure 2 : Prévalence de l’insécurité alimentaire modérée ou grave

Source: FAO 2023.

Facteurs d’insécurité alimentaire

Les causes structurelles de la sécurité alimentaire sont la pauvreté persistante et le faible pouvoir d’achat des populations, la faiblesse de la productivité agricole africaine et les dysfonctionnements des chaînes d’offre. A cela s’ajoutent des chocs externes : politiques des grands producteurs, pandémie, guerre et chocs climatiques.

  • Une faible productivité agricole

La prévalence de la sous-alimentation ne découle pas d'une absence de potentiel sur le continent, mais est en partie dû à un accès limité à des facteurs de production nécessaires à la productivité agricole. Celle des cultures par hectare est deux fois inférieure à la moyenne globale et trois fois inférieure à la productivité du continent asiatique. L’absence régulière d’un droit foncier établi, les prix élevés des engrais, les contraintes de financement ou encore le faible accès aux nouvelles technologies sont autant de raisons qui pénalisent les rendements agricoles africains.

Figure 3 : Valeur de la production agricole (en milliers de dollars américains constants de 2014 à 2016) par hectare

Source FAO. 2023. FAOSTAT. Données sur la production agricole

  • Une structure de consommation très dépendante des importations

Dans le même temps, les pays africains continuent d’importer des aliments de base de leurs régimes alimentaires pour satisfaire la consommation domestique. Sur la période 2019-2021, 36 pour cent de la consommation domestique des céréales est importée avec un taux plus importante pour le blé (67 pour cent) et le riz (45 pour cent).

Figure 4 : Taux de pénétration des importations (2019-2021)

Source: FAO 2023. FAOSTAT: Food Balance Sheet

 

  • Des chocs économiques, sanitaires, climatiques et des conflits qui augmentent la vulnérabilité

Les chocs induits par le COVID-19, la guerre en Ukraine, ou les interdictions d’exportation des grands producteurs ont eu des répercussions majeures sur l’Afrique. Les crises internationales successives illustrent le problème des dépendances du continent aux importations. En 2019, 40 pays africains dépendent des huiles végétales importées pour plus de 40% de leurs besoins intérieurs et 60 % des pays africains (30 pays) importent des produits à base de blé directement de l’Ukraine ou de la Russie. L’Afrique est aussi très dépendante pour les engrais dont la hausse des prix en 2022 a fortement diminué leur utilisation : les deux tiers (soit 36/55) des pays africains importent des engrais de Russie et d’Ukraine.

Le système alimentaire africain fait également face régulièrement à des défis climatiques majeurs dans plusieurs zones : sécheresses, inondations, glissements de terrain dus à de fortes précipitations.

Quelles actions mener ?

Il faut développer le potentiel de production et rendre plus efficace les chaînes d’offre alimentaire.

  •  Exploiter le potentiel de production et de transformation

L’Afrique a de nombreux atouts. Face à la faiblesse des rendements, un meilleur accès aux intrants agricoles, engrais et fertilisants avec des pratiques culturales adaptées permettrait d’augmenter la fertilité du sol et ainsi la production. L’enjeu est d’impulser de plus larges économies d’échelle en passant d’une agriculture à petite échelle de subsistance produisant pour une consommation propre à une agriculture à grande échelle productive. Par ailleurs, l’utilisation des machines pourrait faciliter davantage le travail de la terre, le stockage des récoltes, le conditionnement et le transport des produits. A cette mécanisation pourrait être associée une réduction des pertes agricoles et alimentaires qui contribuerait à compléter l’augmentation de la productivité des cultures afin de nourrir durablement des populations sans cesse croissantes particulièrement en Afrique subsaharienne. Face à cette pression démographique, les possibilités d’expansion des terres arables peuvent être limitées et un levier important est la recherche agricole qui devra se concentrer sur des techniques de production qui tirent parti au maximum des avantages des ressources naturelles disponibles en Afrique, tout en protégeant ces ressources pour leur utilisation future.

  • Améliorer l'accès au marché et la mise en place d’infrastructures et d’équipements

L’accès au marché est essentiel pour permettre aux populations de retrouver leur autonomie. Cela passe nécessairement par une amélioration des chaines de distribution en réduisant les facteurs dissuasifs et les inefficacités sur les marchés : corruption le long des corridors de commerce, mesures non tarifaires excessives, interdictions d’exportation. Le commerce international a un rôle important à jouer pour une meilleure circulation des biens dans le continent et un développement des chaînes de valeur régionale. La Zone de Libre-Echange Continentale Africaine peut simplifier et uniformiser les accords commerciaux régionaux existants, renforcer l’accès aux marchés et créer ou renforcer des chaînes de valeur régionale africaine, permettant de positionner les producteurs africains sur des stades de production plus rémunérateurs et d’accroître la résilience des systèmes alimentaires.

  • De meilleures statistiques pour une meilleure prévision       

Enfin, améliorer l’appareil statistique et les données sur la production, le commerce formel et informel, et la disponibilité alimentaire amélioreraient les décisions politiques. L’initiative AAgWA est un exemple de plateforme qui fournit des informations sur les prédictions de production pour approximer les disponibilités alimentaires, anticiper les zones de crise et assurer la gestion et le suivi des crises.

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